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Not all men et les misandres…

Il y a beaucoup à dire sur l’absurdité de cet argument « not all men », mais si ce n’est pas tous les hommes, c’est tout de même suffisamment d’hommes pour que la société doive se réveiller...

Illustration de Camille Dumat

Camille Dumat

16 oct.

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Not all men et les misandres…

Il y a beaucoup à dire sur l’absurdité de cet argument « not all men », mais si ce n’est pas tous les hommes, c’est tout de même suffisamment d’hommes pour que la société doive se réveiller...

Illustration de Camille Dumat

Camille Dumat

16 oct.

Dans Popol Post #43, nous nous posions déjà cette question : « Qu’est-ce que les hommes doivent au féminisme ? » La réponse à cette question est « tant et tant » et tout en l’explorant, nous interrogions le gouffre immense, et dangereux, qui semblent, depuis #metoo, séparer les hommes et les femmes. 

Le procès de Dominique Pélicot, dit aussi « Procès de Mazan », accusé d’avoir soumis sa femme, lourdement sédatée, aux viols de plus de 80 hommes, a achevé de creuser ce gouffre. L’histoire est si triste, si sordide, si injuste, qu’elle dépasse l’entendement. Et lorsqu’à l’effroi des femmes, la seule réponse a été la même vieille rengaine de « not all men », l’émotion s’est légitiment transformée en colère pour ne pas dire en rage. 

Il y a beaucoup à dire sur l’absurdité de cet argument « not all men », à commencer par le fait que n’importe quelle femme, militante féministe ou non, sait très bien qu’en chaque homme qu’elle rencontre ne sommeille pas un violeur patenté. Nul besoin de lui rappeler quelque chose qu’elle sait déjà. Mais si ce n’est pas tous les hommes, c’est tout de même suffisamment d’hommes pour que la société doive se réveiller. Par ailleurs, ce procès est en train de définitivement battre en brèche l’idée que le viol serait le fait d’une pathologie, d’une monstrueuse anomalie que l’on pourrait circonscrire hors du champ social. Un drame exogène. La faute à pas de chance. Car, en effet, se dit-on, quelle est la probabilité pour que parmi all men, notre route croise précisément celle d’Emile Louis ou de Guy Georges ? Avec cette narration-là, tout le monde peut dormir sur ses deux oreilles et continuer de croire que tout cela ne dépasse pas le cadre d’un épisode de « Faites entrer l’accusé ». 

Sauf que ce que #metoo a révélé, et que le procès de Dominique Pélicot achève de démontrer, ce sont la culture du viol et les rapports de dominations patriarcales qui sous-tendent notre société et qui transforment les hommes en loups et les femmes en brebis. Le violeur n’est donc pas une dangereux psychopathe mais un homme ordinaire. C’est parfois un homme célèbre et influent. Ce face à face est violent pour toutes et tous. Comment peut-on continuer à vivre comme ça ? 

Et c’est sur cette question que nous butons et que nous luttons. Pourquoi les hommes sont si silencieux ? La raison est assez évidente : les privilèges des hommes sont tels que même les « gentils », même les « all men but not me » n’ont sans doute même pas conscience que leur tétanie est liée aussi au fait qu’ils ont énormément à perdre. Car cette vague de libération ne concerne pas que les violences et les violents, mais tout un système qui permet à la société de ne jamais changer et de perpétuer la domination d’un groupe d’individu sur un autre, avec comme tribut pour les hommes : du temps, de la place, de l’argent, l’assouvissement de tous les désirs et la tranquillité d’esprit. 

L’autre explication de ce silence est sans doute la fragilité du mouvement féministe qui doit tout à la fois mener un combat décisif tout en affrontant un backlash d’une violence inouïe. Difficile de s’unir et de parler d’une même voix. Les réactions à la tribune de Libération, signée par 200 hommes, montrent bien toute la complexité de ces questions. Certaines ont reproché aux hommes leurs silences. D’autres leur reprochent au contraire de parler. Les débats ont été tendus et difficiles, à la hauteur de l’enjeu. 

« Not all men », « all men but not me », « le silence des hommes »…  Tout cela ne sont que des éléments de langage sans le moindre sens dont il faut se libérer. Les hommes vont parler, doivent parler, ils parlent sans doute déjà dans leur couple ou avec leurs amies, peut-être même entre eux. La situation ne souffre pas d’ambiguïté. Les femmes, les femmes hétérosexuelles en tout cas, savent aussi que derrière les #misandre et #allmen, elles vivent avec des hommes et en élèvent. Et qu’elles n'ont visiblement et légitimement pas l’intention d’y renoncer. 

Le procès Mazan nous oblige à la politique. Nous oblige à sortir de la colère. Nous oblige à rappeler à tou·tes que le féminisme n’est pas une guerre entre les hommes et les femmes, mais une lutte pour un monde plus juste. Et c’est le fait que cette lutte pèse (beaucoup) exclusivement sur les épaules des femmes qui devrait nous inquiéter, plutôt que de savoir qui a relayé une story ou pas et si Baptiste Beaulieu ou Gilles Lellouche sont légitimes à parler des violences sexuelles que subissent les femmes. 

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