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COP vs Pétromasculinité

La conclusion décevante de la COP 28 fut que le projet d'accord n'évoque pas la sortie des énergies fossiles, mais « une réduction de la consommation et de la production ». Celui-ci apparaît comme un compromis mais surtout un recul.

Illustration d'Amandine Richaud Crambes

Amandine Richaud-Crambes

13 déc.

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COP vs Pétromasculinité

La conclusion décevante de la COP 28 fut que le projet d'accord n'évoque pas la sortie des énergies fossiles, mais « une réduction de la consommation et de la production ». Celui-ci apparaît comme un compromis mais surtout un recul.

Illustration d'Amandine Richaud Crambes

Amandine Richaud-Crambes

13 déc.

Les COP se suivent et se ressemblent, voire appauvrissent leurs propres engagements. La COP 28 de Dubaï ne fait pas figure d’exception, sauf peut-être, d’assumer une langue de bois décomplexée. 

La première COP, datant de 1995, avait pourtant donné quelques espoirs aux environnementalistes et aux climatologues. Le discours poignant de Svern Cullis-Suzuki lors du sommet de Rio de 1992, 15 ans à l’époque, a certainement été l’un des évènements majeurs pour la prise de conscience mondiale de la crise du vivant à venir. Cependant, c’est seulement en 2015 lors de la COP21, soit presque 20 ans plus tard, que l’Accord de Paris a permis d’entrevoir des prémisses d’actions pour la diminution des énergies fossiles ainsi que des objectifs forts sur la diminution de la production des GES dans le monde. L’un des objectifs essentiels de l’Accord de Paris est de:  « maintenir l'augmentation de la température moyenne mondiale bien en dessous de 2°C au-dessus des niveaux préindustriels et de poursuivre les efforts pour limiter l'augmentation de la température à 1,5°C. » 

Alors, 8 ans plus tard, où en sommes-nous ? Si la crise sanitaire mondiale du Covid 19 a permis de diminuer la consommation des énergies fossiles à cause des divers confinements, le répit fut de courte durée et, l’effet rebond bien plus important que nous aurions pu l’imaginer. En effet, les investissements dans les énergies fossiles sont revenus rapidement à un record total de 1 050 milliards de dollars en 2023, soit presque autant qu'en 2019. Et d’après des calculs du Fonds Monétaire International (FMI), les subventions aux combustibles fossiles ont atteint un niveau record de 7 000 milliards de dollars en 2022, soit 7% du PIB mondial.

La faute à qui ? Outre les gouvernements successifs, les banques françaises ont été entre janvier 2016 et juin 2023 impliquées dans plus de la moitié des emprunts sur les marchés émis par l'industrie fossile dans le monde. L’ONG fondée par Lucie Pinson, lauréate du prix Goldman pour l’environnement en 2020, expliquait déjà dans une enquête baptisée « Fossil finance » que « Les établissements français (...) font partie des plus actifs en Europe » et « sont  impliqués dans un peu plus de la moitié des opérations  de financement obligataire des géants du pétrole et du gaz ». La BNP, la Société Générale ou encore le Crédit Agricole se partagent joyeusement le podium des investissements écocidaires.

Afin de ne pas voir uniquement le verre à moitié vide, il est bon de noter que la COP 28, nous donne deux votes non négligeables pour le futur. Dès les premiers jours, l’annonce de l'adoption de la mise en œuvre du fonds destiné à financer les « pertes et dommages climatiques des pays vulnérables » donne le ton. Un pas positif afin d’espérer dégripper les tensions financières entre le Nord et le Sud, en parallèle des négociations sur les énergies fossiles. Les premières promesses ont commencé à pleuvoir : 100 millions de dollars pour les Émirats, autant pour l'Allemagne, 10 millions pour le Japon, 17,5 millions pour les États-Unis, jusqu'à 40 millions de livres (environ 50 millions de dollars) pour le Royaume-Uni. Cet accord tant attendu, et retoqué lors des précédentes COP, est en réalité l’arbre qui cache la forêt d’une lutte acharnée pour une conclusion beaucoup moins optimiste de ce grand évènement. N’oublions pas la double casquette du Sultan Al Jaber, qui accueille l’évènement à Dubaï, tout en profitant de la messe mondiale afin de conclure des contrats favorisant les énergies fossiles de son pays. Cela conduit notamment à une conclusion décevante de cette COP 28 où  le projet d'accord n'évoque pas la sortie des énergies fossiles, mais « une réduction de la consommation et de la production ». Celui-ci apparaît donc comme un compromis mais surtout un recul immense. Et quand, les organismes internationaux, choisissent l’accueil de la prochaine COP 29 en Azerbaïdjan, cela ne laisse rien augurer de bon, ce pays étant alimenté essentiellement grâce à l’exploitation du gaz dont la majorité de son PIB dépend. 

Comment pouvons-nous encore en arriver à ces reculs et ces accords à la petite cuillère alors que nous sommes en 2023 et que le GIEC alerte depuis des dizaines d’années sur la nécessité de redresser la barre avant le point de non-retour ?

Il faut peut-être aller voir du côté du livre de Cara Daggett, Pétromasculinité, Du mythe fossile patriarcal aux systèmes énergétiques féministes. Cette chercheuse américaine en sciences politiques, propose une lecture féministe du climato-scepticisme. À travers le concept de « pétro-masculinité », elle démontre en quoi les énergies fossiles constituent un élément central de l’identité masculine dominante, mais aussi comment l’extrême droite gagne du terrain sur la question climatique.  Dans un long entretien accordé à Médiapart en 2021, elle détaille que « Le genre et la sexualité structurent la question climatique ». Elle va plus loin dans son interview en ajoutant « Je pense que cette association entre masculinité dominante et pouvoir attribuer aux combustibles a profondément imprégné la perception occidentale de la nature. Un point de vue où la nature est appréhendée comme extérieure aux humains, quelque chose qu’il vaut mieux contrôler et utiliser comme une ressource au service de la croissance économique. Cela s’inspire de l’intuition écoféministe selon laquelle la subordination des femmes et celle de la nature sont historiquement liées ». Cara DagGett ajoute que « L’imaginaire de la voiture demeure omniprésent. Par exemple, lorsque les défenseurs des véhicules électriques défendent l’automobile individuelle, au lieu de mettre l’accent sur l’investissement dans les transports en commun, ou la construction de logements plus denses en relation avec les transports publics comme leviers de la transition écologique. Il y a aussi l’association symbolique plus large entre la masculinité américaine virile et les grosses cylindrées – un lien évident dans le style ouvertement militariste des nouveaux SUV électriques comme le Tesla Truck ou le EV Hummer. »
Ses mots nous font penser indéniablement à la photo de Bruno Lemaire posant fièrement devant sa Peugeot 208 ou à Emmanuel Macron avec son récent « on aime la bagnole. Et moi je l'adore » . 

On retrouve finalement toutes ses hypothèses dans la représentation des femmes au sein des différentes délégations des COP. Même si on peut affirmer facilement que la parité progresse un peu (les hommes représentaient 88 % des délégations lors de la première COP), on voit encore qu’elle est insuffisante. Lors de la COP 26, les délégations sont composées à 65 % d'hommes pour 35 % de femmes. C’est la même chose au niveau des gouvernements dont seulement 12 % sont dirigés par des femmes, tandis que la proportion des femmes dans les parlements nationaux atteint 25,5 %. L’ONU rappelle que seulement un quart de femmes sont présentes dans les métiers STEM (sciences, technologies et métiers d'ingénieur et mathématiques). Ces quatre domaines pourtant indispensables pour pouvoir avoir les compétences nécessaires pour jouer un rôle actif dans la protection environnementale. Alors qu’une étude de la Bank of New York indique que si les femmes investissaient autant que les hommes, 1 870 milliards de dollars supplémentaires seraient injectés dans l’investissement responsable avec une préférence dans les énergies renouvelables, et qu’il y aurait un surplus de 3 220 milliards de dollars injectée dans l’économie globale. What else ?

J’ai alors envie de demander à tout ce beau monde H67 : « quand laisserez-vous enfin la place aux femmes, avec une parité+ lors de ces COP ou toutes autres négociations pour sauver le climat ? Quand pourrons-nous enfin travailler sérieusement à la transition climatique et écologique et décider ce que cela implique, avec un nécessaire pouvoir décisionnel ? » Car, on vous voit chers messieurs, avec vos grosses bagnoles, et c’est vous que l’Histoire retiendra comme les auteurs du fiasco écologique planétaire laissé aux générations futures.

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