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Droit ou justice ? Le climat change les règles du jeu

Des combats écologiques aux défis climatiques, les règles établies sont mises à l'épreuve. Face à l'urgence, la société civile bouscule les codes et réclame une justice à la hauteur des enjeux environnementaux.

Illustration d'Amandine Richaud Crambes

Amandine Richaud-Crambes

29 avr.

a watercolor painting of the earth in space
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Droit ou justice ? Le climat change les règles du jeu

Des combats écologiques aux défis climatiques, les règles établies sont mises à l'épreuve. Face à l'urgence, la société civile bouscule les codes et réclame une justice à la hauteur des enjeux environnementaux.

Illustration d'Amandine Richaud Crambes

Amandine Richaud-Crambes

29 avr.

La philosophie nous apprend deux choses : la justice est essentiellement comprise comme un objet renvoyé au domaine du droit, aux règles en vigueur dans une société donnée ou encore au pénal ou la vérité. Cependant, la justice rentre aussi dans une catégorie morale. Qu’est ce qui est juste pour les un·es, injuste pour les autres, qu’il en arrive des révoltes ? C’est pourquoi la justice est aussi un sentimentOn passe facilement de la morale au droit car les règles de justice sont variables. Le philosophe Pascal en donne une vision intéressante qui s’applique assez bien à la justice environnementale ou la justice climatique “ce qui est légitime (c’est-à-dire conforme à un idéal de justice) n’est pas toujours légal” et inversement.

Cela peut expliquer pourquoi beaucoup de personnes engagées dans le combat pour la préservation de la planète et de ses habitant·es, ne font plus vraiment de distinction entre ces justices. On ne peut pas leur en vouloir quand on voit déjà le grand foutoir judiciaire qui nous entoure sur des sujets pourtant régaliens et depuis longtemps inscrits dans le Droit avec un grand D. C’est d’ailleurs à propos de cette justice traditionnelle que la défiance ne cesse d’augmenter ; 1 français·es sur 2 ne lui fait plus confiance. Le corps de la magistrature se méfie du gouvernement qui lui rend bien notamment via les propos de son ministre de la “Justice”.

Alors, dès qu’on emploie le mot de justice dans une optique de “juste” ou morale, sans que cela s’appuie sur du droit, forcément tout se complique. La justice environnementale peut s’appuyer sur le Code l’environnement et un droit de l’environnement national et européen protecteur. Mais ce n’est pas pour autant suffisant si on parle de justice. Il faut prendre en compte la juste répartition des ressources environnementales, le droit égal à vivre dans un environnement sain, le droit égal à ne pas voir son environnement détérioré par l’action anthropique, la juste répartition des charges nécessaires à la protection de l’environnement.  Dernièrement, le Parlement Européen a adopté le règlement européen pour restaurer la nature. Le texte définit des objectifs et des obligations qui sont juridiquement contraignants en matière de restauration de la nature dans chacun des écosystèmes énumérés, allant des terres agricoles aux forêts et prairies en passant par les écosystèmes côtiers et marins (notamment les prairies sous-marines et les bancs d'éponges et de corail), d'eau douce (zones humides, rivières, lacs) ou encore urbains. Pour autant, on ne peut pas parler de justice environnementale car cette loi, comme d’autres, dans le droit de l’environnement, ne prend pas en compte les inégalités d’expositions à des écosystèmes dégradés ou des pollutions et ne garantit donc pas un droit équitable ou “juste”.

Si on parle de justice climatique, cela se complexifie encore plus, car même s’il y a des engagements, internationaux et nationaux, sur lesquels s’appuyer mais rien de contraignant. L’objectif de la justice climatique est de tout faire pour que le réchauffement n'accroît pas les inégalités. Elle est apparue comme une thématique centrale au moment de l’ouverture de la COP 21. Cela vient d’une revendication forte de la société civile à l’échelle internationale. En France, les inégalités climatiques peuvent être considérées comme des injustices si, après en avoir pris connaissance, rien n’est fait pour les diminuer. Récemment, la COP 28 a donné un exemple de ce que pourrait être la justice climatique et paradoxalement ses limites. En effet, la détermination des pays les plus pauvres, surtout  africains, est venue à bout des tergiversations des pays riches, avec la création d’un mécanisme financier destiné à réparer les dégâts causés dans les zones les plus vulnérables par les modifications du climat. Car ce sont les pays riches qui sont les premiers pollueurs de la planète alors que les pays les plus pauvres, notamment en Afrique, sont ceux les plus touchés par le réchauffement et les catastrophes climatiques. Pourtant, le caractère non contraignant de ce fonds, montre que la participation financière des pays reste à la bonne volonté de chacun. Les États-Unis par exemple préfèrent verser leur part sur la base du volontariat ou la France a promis moins de 100 millions d’€ sur les 580 milliards d’€ qui seraient nécessaires pour le fonctionnement a minima de ce fonds. C’est assez scandaleux quand on rappelle l’histoire coloniale du pays en Afrique et l’exploitation de ses ressources naturelles et humaines.

Malgré les difficultés évidentes pour instaurer des justices environnementale, climatique ou même sociale qui s'appuient sur les mêmes mécanismes, les lignes commencent à bouger. En attendant des lois ou règles spécifiques, la détermination de la société civile bouscule les codes et à recours à l’invention de nouveaux recours grâce à l’intersection de droits élémentaires qui sont, eux, inscrits dans les fonctionnements juridiques des pays. Le nombre d’affaires judiciaires liées au climat a doublé entre 2017 et 2022, selon l’ONU-Environnement donnant aujourd’hui le chiffre de 2500 recours en cours ou clos dans le monde. En 2023, six jeunes Portugais·es, âgé·es de 11 à 24 ans, assignent 32 États devant la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH). Iels accusent les 27 États de l’Union européenne ainsi que la Russie, la Turquie, la Suisse, la Norvège et le Royaume-Uni de ne pas limiter suffisamment leurs émissions de gaz à effets de serre, qui alimentent le changement climatique et affectent les conditions de la vie sur Terre. Les plaignant·es espèrent ainsi créer une jurisprudence qui renforcerait la lutte contre le réchauffement de la planète. En France, « L’affaire du siècle » a réussi à faire reconnaître par un juge l’obligation d’agir de l’État dans la lutte contre le changement climatique. Concrètement, le gouvernement français a été condamné en 2021 par le tribunal administratif de Paris pour ne pas avoir tenu ses engagements inscrits dans l’accord de Paris. 

Mais c’est le 9 avril 2024 qui marque un tournant historique de la justice environnementale en Europe. En effet, un arrêt de la CEDH condamne l’inaction climatique de la Suisse, pour violation de la Convention européenne des droits de l’homme. Les procédures ont été lancées par un petit groupe de 2500 femmes (encore et toujours), opiniâtres et retraitées, lassées des politiques et d’imaginer le futur laissé aux jeunes générations. Ce jugement est donc LA jurisprudence qui va rebattre les cartes entre la société civile et les responsabilités des États. Car la plus grande autorité judiciaire de l’Union Européenne, en rendant cette décision, relève l’hypocrisie des objectifs climatiques brandis mais jamais remplis et envoie un signe fort aux populations. Dorénavant, elles constituent un contre-pouvoir, actrices principales des justices environnementales et climatiques, et sont reconnues comme telles. Espérons que ce jugement historique, fera aussi changer de camp l’éco-anxiété vers celleux qui la provoquent.

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