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Anatomie d’une chute : l’écologie politique mourante

Alors qu’il aurait fallu que l’écologie s’impose comme le bien commun d’un projet démocratique progressiste, les Écologistes coincé·es dans leur popol interne et leur rebranding, ont laissé glisser le débat se faire entre la conscience écologique bourgeoise d’un côté et le déni écologique de l’autre.

Illustration d'Amandine Richaud Crambes

Amandine Richaud-Crambes

09 juil.

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Anatomie d’une chute : l’écologie politique mourante

Alors qu’il aurait fallu que l’écologie s’impose comme le bien commun d’un projet démocratique progressiste, les Écologistes coincé·es dans leur popol interne et leur rebranding, ont laissé glisser le débat se faire entre la conscience écologique bourgeoise d’un côté et le déni écologique de l’autre.

Illustration d'Amandine Richaud Crambes

Amandine Richaud-Crambes

09 juil.

Pendant longtemps, l’écologie politique, essentiellement portée par les partis ayant amené à la création d’EELV/Les Verts, a été précurseure sur les sujets environnementaux, voire même progressiste sur le changement du modèle économique libéral dominant en parlant de décroissance. En 2019, d’importantes manifestations étudiantes inspirées par Greta Thunberg, appelées Marches Climat, battaient leur plein dans le monde entier et alimentaient l’électorat des partis qui promettaient une action climatique forte, les promesses de réduction de la pollution s’enchaînaient ; la crise climatique figurait en bonne place dans l’agenda politique des dirigeant·es. Résultat : le Groupe des Verts/Alliance libre européenne (Verts/ALE), groupe politique du Parlement européen, devenait la 4ème force, avec le meilleur score de son histoire soit 75 député⸱es. Pour la délégation française issue de EELV, c’était 13,4% et 13 sièges.

Lors de l’année 2020 post covid, la dynamique est toujours là et les écologistes obtiennent 8 mairies de grandes villes, dont Lyon, Bordeaux, Strasbourg ou encore Poitiers ainsi que des centaines de conseillèr⸱es municipaux, du jamais vu. En 2022, ce sont 23 député⸱es qui sont envoyé⸱es l’Assemblée Nationale alors qu’il n’y en avait plus aucun depuis 2017. Mais cinq ans plus tard, c’est la dégringolade. Le 9 juin 2024, Greens/Ale n’obtient que 54 sièges dont 5 seulement pour les Verts français·es, les extrêmes droites arrivent en tête en France. 

Que s’est-il passé ? Alors que la crise climatique n’a jamais été aussi visible, où est passée l’écologie dans le débat politique ? Pourquoi il n’y a pas eu de transformation des précédents bons résultats pour en faire un sujet pivot de la société ? 

Chez les commentateurices politiques, l’essentiel des critiques sur la montée de l’extrême droite se concentre sur Macron, à juste titre, et sur LFI. Les Écologistes sont étonnamment épargné·es. Pourtant, les récents résultats démontrent aussi la faillite de l’écologie politique et il n’y a aucune raison de ne pas les blâmer.

En effet, le virage prit par les Écologistes depuis 2020 n’est pas en phase avec le contexte sociétal. Alors qu’il aurait fallu que l’écologie s’impose comme le bien commun d’un projet démocratique progressiste, les Écologistes coincé·es dans leur popol interne et leur rebranding, ont laissé glisser le débat se faire entre la conscience écologique bourgeoise d’un côté et le déni écologique de l’autre. De ce point de vue, le parti macroniste a une responsabilité majeure. Il a glissé dans le déni tout en ne cessant de tambouriner que l’écologie était très importante. Doctrine reprise dans tous les partis qui a dissous l’écologie politique dans tout, pour le meilleur et surtout le pire (kikou Hugo Clément avec Jordan Bardella). Et les Écologistes ont laissé faire. 

Il est bien loin le slogan commun avec les Gilets Jaunes, “Fin du monde, fin du mois” qui se hurlait dans la rue. Les Ecologistes ont laissé tomber une réserve de voix qui est passée au Front National en stigmatisation des modes de vie ruraux comme “antiécologiques”, et donc la mobilisation des Gilets jaunes. Bien qu’initialement critiqués pour leur opposition à la taxe carbone, les Gilets jaunes exprimaient un sentiment d’injustice plus large envers une fiscalité écologique perçue comme inéquitable. Iels partageaient des attitudes favorables à la protection de l’environnement, tout en se méfiant des discours moralisateurs de l’écologie dominante et ses injonctions. Alors que les Gilets jaunes appartenant aux classes populaires relient par ailleurs leur style de vie sobre “subit” comme écologique et peuvent s’aligner à des pratiques de consommation engagée. Sobriété subie que l’on retrouve dans les banlieues et les populations les plus défavorisées, elles aussi laissé⸱es de côté.

Jean-Baptiste Comby décrit cela parfaitement dans son nouvel ouvrage, “Écolos, mais pas trop…”. Les Écologistes ont fait le choix d’un courant politico-existentiel qui fait reposer la lutte pour la préservation de la planète sur une série de mythes et de pratiques dépolitisantes mais fondamentalement politiques dans la mesure où elles conduisent à la préservation du capitalisme et des intérêts de sa classe dominante. Cette généralisation de sa propre responsabilité au sein d’une culpabilisation de masse est un classique de la pensée bourgeoise.

Faire le choix de Marie Toussaint en tête de liste pour les européennes est symptomatique de ce mouvement politique. Tout comme aller chercher, une “influenceuse, entrepreneuse et militante” qui a commencé sa carrière professionnelle sous les ors de la République et qui n'était encore pas longtemps sur la liste d’Agnès Buzyn lors de municipales de 2020. Celle-ci est une adepte du petit geste culpabilisant de chacun et de la méritocratie variable. La campagne européenne des Écologistes autour de la “Douceur”, du “booty-positivity”, ou des flashmobs fut non seulement ringarde et déconnectée, mais aussi la marque de l’écologie bourgeoise. C’est aussi ce que représente Marine Tondelier, qui malgré ses dernières bonnes sorties médiatiques, fait oublier qu’elle est dans les instances dirigeantes de son parti depuis de nombreuses années et est aussi fautive des choix actuels. Les injonctions par la douceur du petit geste “un jour par semaine, ne manger ni viande ni poisson”, “acheter des fruits et légumes de saison”, “se chauffer à 19 degrés”, “planter des fleurs pour les abeilles”, “donner du temps à une association pour la nature”, “remplacer gobelets et bouteilles en plastique par une gourde”, “acheter moins de vêtements”… a été la goutte d’eau de trop dans le vase bien trop plein des plus fragiles qui font déjà tout cela.

Comme le rappelle justement Nicolas Framont pour Frustration Magazine, “la pratique du petit geste donne donc le beau rôle aux gens aisés, puisque c’est eux qui ont le plus de marge de manœuvre financière pour les mener : plus de temps (les horaires décalées, le travail de nuit étant largement réservé aux ouvriers et aux employés), plus d’argent.” Mais surtout, elle a l’immense mérite de jeter un voile pudique sur les autres leviers dont nous disposons pour réduire l’empreinte carbone du pays, ceux qui dépendent de l’Etat et des entreprises, pas des individus, et qui constituent au moins ¾ de l’effort à mener pour tenir les objectifs de baisse. 

Contrairement à beaucoup, les Écologistes ne sont pas allé les chercher à convaincre les électeurices déçues du macronisme, ou les jeunes abstentionnistes qui ne se retrouvent dans aucune représentation politique, et encore moins les classes moyennes et modestes qui vivent dans la sobriété subie et qu’il aurait fallu revaloriser dans leur engagement du quotidien plutôt que de déclasser en les poussant vers le Front National.

Les résultats électoraux actuels montrent que l’écologie bourgeoise est une catastrophe. L’inertie des politiques écologiques est dès lors appréhendée à la fois comme le produit de structures sociales de domination et comme le vecteur de leur reproduction. Les groupes et acteurices sociaux qui occupent au sein de ces structures des positions dominantes sont parvenus non pas à rejeter les injonctions environnementales, mais à les rendre compatibles avec la préservation de leurs positions dominantes. Dessiner les contours d’une question environnementale qui s’impose sans modifier en profondeur l’état des rapports sociaux. Or, l’écologie politique a non seulement toute sa place dans le paysage, mais est une nécessité de survie planétaire et démocratique. Nos élites politiques vont devoir recentrer le débat pour une écologie qui ne soit pas stigmatisante en demandant d’abord des efforts à celles et ceux qui en ont le plus à faire et arrêter de partir du postulat que les gent⸱es “ne savent pas”. L’écologie sans remise en question profonde du système capitaliste, patriarcal et de la domination n’est pas compatible avec la société discriminante française. Malcom Ferdinand, écologiste convaincu et auteur de “Une écologie décoloniale” prenait la parole récemment lors d’une soirée des Écologistes et de Reporterre en juin dernier : “Combien de fois vais-je venir dans un meeting me retrouver l’un des seuls noirs de la salle ou alors avec quelqus-unes qui font la musique ou qui vous servent des bières ? […] Comment faire pour que la pratique écologiste ne ressemble pas à un meeting de l’extrême droite ?”.
Cela raisonne, non ?

Le 30 juin, il y aura celleux qui se pinceront le nez pour faire barrage à l’extrême droite en votant Ensemble ou le Nouveau Front Populaire, surtout à cause de LFI qui a été si diabolisée. Mais il aura aussi celleux qui voteront à reculons pour Les Ecologistes, en croisant les doigts pour qu’iels ne gâchent pas à nouveau une chance de remplacer l’écologie bourgeoise et de mettre au cœur de la politique française l’écologie populaire, sociale, anti-raciste et réellement féministe*.

*une plainte contre Julien Bayou est actuellement en cours d’examen

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