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La justice internationale est-elle féministe ? 

Malgré les avancées dans la reconnaissance des crimes de genre, les défis persistent quant à l'inclusion des femmes dans les plus hautes instances judiciaires mondiales.

Illustration de Clothilde Le Coz

Clothilde Le Coz

01 mai

a large building with a lot of flags in front of it
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La justice internationale est-elle féministe ? 

Malgré les avancées dans la reconnaissance des crimes de genre, les défis persistent quant à l'inclusion des femmes dans les plus hautes instances judiciaires mondiales.

Illustration de Clothilde Le Coz

Clothilde Le Coz

01 mai

Pour les personnes vivant en Europe, qui dit justice internationale dit au moins 3 institutions : la Cour internationale de justice, qui juge les Etats, la Cour pénale internationale qui juge les personnes et la Cour européenne des droits humains (CEDH) qui vérifie que les droits et les garanties prévus par la Convention européenne des droits humains sont respectés par les États. Au total, ce sont 79 juges internationaux dont 29 femmes. Avec une parité absente, peut-on compter sur une justice féministe ?

Depuis 30 ans, l’inclusion des crimes liés au genre  a fait son apparition dans le droit pénal international grâce à la ténacité de mouvements féministes qui ont œuvré pour la reconnaissance du viol comme arme de guerre et de torture. Cette reconnaissance de l’inclusion du genre a commencé avec les tribunaux spéciaux pour l’ex-Yougoslavie (1993) et le Rwanda (1994) qui ont rendu possibles les poursuites pour violences sexuelles en tant que crimes de guerre, crimes contre l’humanité et génocide. Ainsi, le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) a été la première institution à reconnaître le viol comme un moyen de perpétrer le génocide et le catégorise comme forme de torture. Le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY) a été la première institution à reconnaître le viol comme crime de guerre. Ces deux décisions ont été rapidement considérées comme des avancées pour le droit des femmes.

Désenchantement féministe pour la Cour pénale internationale

Pourtant, certains regards féministes questionnent toutefois l’inclusion du genre en droit international par le seul prisme des violences sexuelles car la définition du crime lié au genre est problématique. Dans le Statut de Rome, qui fonde la CPI, le terme genre se réfère aux “deux sexes, mâle et femelle, dans le contexte de la société”, et il ajoute que “le terme genre ne peut être compris d’aucune autre façon de celui-ci”, appuyant sur l’idée du genre comme étant compréhensible à partir de ce sexe biologique. Certaines se demandent donc si la CPI est le lieu adapté pour rendre une véritable justice de genre ou si elle ne réduit pas les  femmes au seul statut de victime de la violence sexuelle, fixant ainsi leurs positions sociales comme passives, inférieures, vulnérables et ayant besoin de protection masculine. 

Pour rappel, la Cour pénale internationale (CPI) est un tribunal indépendant qui juge “les personnes accusées des crimes les plus graves qui touchent l’ensemble de la communauté internationale”. Elle est actuellement composée de 11 juges femmes et 7 juges hommes. Depuis sa création en 2002, elle a condamné deux hommes pour crimes de guerre - Thomas Lubanga et Germain Katanga - en République démocratique du Congo. Le viol et les violences sexuelles n’ont toutefois pas été constitutives de ces condamnations car – malgré les preuves – ces charges ne sont pas incluses dans l’acte d’accusation contre Lubanga, donnant priorité aux charges concernant les enfants soldats. Katanga a été reconnu coupable de crimes contre l’humanité, mais s’est vu acquitté des charges de viol et de réduction en esclavage sexuel, témoignant des difficultés à faire la preuve dans les cas de violences sexuelles.

Difficiles définitions

En plus de cette notion de genre liée à celle du sexe, il n’existe aucune définition  du viol universellement reconnue. C’est également la raison pour laquelle l’enjeu pour la CPI est de prouver la systématisation de son utilisation pour qu’il soit reconnu comme arme de guerre ou de génocide. L’Union européenne a récemment essayé d’adopter une définition commune du viol, incluant notamment la notion de consentement. Sans succès. Dix pays – dont la France – se sont exprimés contre cette définition. Selon Eric Dupond-Moretti, notre garde des sceaux, “le seul responsable, c’est le violeur. Le risque majeur (d’inclure la notion de consentement dans la définition) est de faire peser la preuve du consentement sur la victime”. Par ailleurs, le tout premier instrument législatif de la Cour européenne des droits humains (CEDH) n’inclut pas la notion de viol, dont les définitions légales varient là-aussi selon les systèmes juridiques de chaque État. 

La voix féministe de la Cour internationale de justice 

La juge autralienne Hilary Charlesworth est une internationaliste féministe qui siège à la CIJ depuis 2021. Elle a été réélue en février 2024 pour neuf ans. Pour elle, si le droit international a été remis en question après la décolonisation par les nouveaux États en qui en avaient jusque-là été exclus, il n’a jamais été sérieusement questionné quant à son oubli quasi complet des femmes. “Certaines institutions internationales ont adopté le vocabulaire lié aux femmes et au genre, mais elles ont réduit les idées féministes à des incantations ritualisées […]. Le fait que les féministes portent une étiquette permet au masculinisme ambiant d’être la toile de fond de notre travail et de nos vies”. Elle soulève ainsi que l’ONU ne fait pas la distinction entre les notions de genre et de sexe. Or, si la notion de “genre” se résume à la “femme”, cela pose problème car  1) le genre est défini de manière biologique, laissant de côté l’importance de la construction sociale et de la reproduction des dynamiques de domination et 2) cela ne pose pas la question du rôle spécifique ou de la responsabilité des hommes ou de l’identité masculine dans le droit international.

Dernièrement Hilary Charlesworth a notamment déclaré que la CIJ  “aurait dû rendre plus explicite le fait qu’Israël doive suspendre toute opération militaire à Gaza car c’est la seule manière d’assurer qu’une assistance humanitaire pour la population”. 

Depuis sa création en 1945, la cour internationale de justice (CIJ), n’a compté que 5 femmes juges sur 114. Actuellement, moins de 5% de ses membres sont des femmes. C’est pourtant un record historique pour cet organe judiciaire international. Que peut-on dire d’un tribunal international composé de 25% de femmes ? Ne fragilise-t-il pas la crédibilité de l’ONU ?

Résumons

En 30 ans, le viol a été reconnu comme arme de guerre et crime de génocide, même si pour l’instant aucun des condamnés par la cour pénale internationale ne l’a été avec ces charges. La question se pose de savoir si c’est une réelle avancée pour le droit des femmes et des minorités car, même si ces crimes sont reconnus, ils conditionnent la définition du genre à celle du sexe et réduisent la question de l’inclusion des femmes à celle des violences sexuelles. On peut compter sur les conflits actuels pour essayer de faire évoluer cette définition car des enquêtes sont en effet aujourd’hui demandées par des expertes de l’ONU et des expertes indépendantes pour connaître l’ampleur des crimes sexuels commis en Ukraine, en Israël et à Gaza. Il faudra donc attendre le temps de la justice et on espère pouvoir compter sur des juges un peu plus féministes car l’ampleur de ces crimes est difficile à établir, surtout quand les guerres sont en cours.

Bref, chez Popol, on se souhaite un peu plus de consentement et d’Hilary dans nos vies.

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