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Le retard, grande cause du gouvernement

Le futur budget de l'État, placé sous le signe de la réduction du déficit, est une prophétie de l’accentuation des retards sur les prises en compte du changement climatique et de la lutte contre les violences sexistes et sexuelles.

Illustration d'Amandine Richaud Crambes

Amandine Richaud-Crambes

03 oct.

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Le retard, grande cause du gouvernement

Le futur budget de l'État, placé sous le signe de la réduction du déficit, est une prophétie de l’accentuation des retards sur les prises en compte du changement climatique et de la lutte contre les violences sexistes et sexuelles.

Illustration d'Amandine Richaud Crambes

Amandine Richaud-Crambes

03 oct.

La rentrée parlementaire est toujours synonyme du retour des orientations budgétaires de l’État pour l’année suivante. En principe, le Projet de Loi de Finances (PLF) est présenté le 1er octobre. Mais cette année, pour la toute première fois de la Vème République, cette présentation du PLF sera faite en retard. Ce futur budget tardif, sous le signe de la réduction du déficit, est une prophétie de l’accentuation des retards sur les prises en compte du changement climatique et de la lutte contre les violences sexistes et sexuelles. Évidemment, d’autres sujets seront victimes des coupes financières de Bercy, surtout ceux qui concernent le social, mais ces deux thématiques sont symptomatiques du paradoxe des politiques macronistes depuis 2017. Où sont passés les « Make the Planet great again » ou la « Grande Cause du quinquennat » et les moyens qui devaient leur être affectés ?

Comme les saisons précédentes, pour sa rentrée, Popol Green se focalise sur le décryptage du budget vert, mais cette année, il couple cela avec le budget concernant les droits des femmes et minorités de genre. En effet, l’écologie et les luttes féministes et queers sont intrinsèquement liées ; dans une société où l’économie libérale est reine et au service des dominations, voir où est investi l’argent public est essentiel.

“Alors que le retard s'accroît, l’équilibre budgétaire pour le climat s’éloigne”

Le budget consacré à la transition écologique a augmenté d’environ 3% par an depuis 2017 mais cette augmentation masque la réalité de terrain et le fléchage ambigu de ces financements. Le Budget Vert, obligation européenne, est un document qui flèche les dépenses globales de l’État en fonction de leur impact environnemental, entre vertes (favorables), grises (neutres) et brunes (défavorables). Alors que le gouvernement se vante régulièrement des augmentations allouées à l’environnement, il se gausse moins quand il faut distinguer les dépenses favorables au climat et celles défavorables. Derrière les estimations se cachent des choix méthodologiques qui influent sur le nombre des dispositifs fiscaux, minimisant les dépenses néfastes au climat. Les organismes de contrôle pointent cependant que les dépenses en défaveur de l’environnement ont explosé, passant de 10,3 à 19,6 milliards d’euros rien qu’entre 2022 et 2023. Cette explosion ne comprend pas le tour de passe-passe de l'État en intégrant dans les dépenses vertes le financement d’ampleur du nucléaire, le bouclier énergétique finançant les énergies fossiles, la baisse d’investissement dans les ENR ou encore les 27 000% d’augmentation budgétaire allouée aux chasseurs.

Dès 2021 et à nouveau en 2024, la Cour des Comptes (CdC) alerte sur les manquements budgétaires pour soutenir une politique d’adaptation au changement climatique efficace ; les crédits alloués à la politique écologique et à la prévention des risques ne répondent pas à l’urgence. La Cour note que « les dépenses favorables à l’environnement ont augmenté de 1 milliard d’euros entre 2021 et 2023 alors que le besoin d’investissement peut être évalué à au moins 10 milliards d’euros [par an] pour la seule transition climatique ». L’effort budgétaire devrait donc être décuplé. D’après l’Institute For Climate Economics (I4CE), il faudrait 30 milliards supplémentaires par an pour tenir l’engagement de réduction des émissions de gaz à effet de serre.

Le retard, c’est aussi ce que pointe le Haut conseil pour le Climat (HCC) concernant certains textes importants pour la France et prône un “changement d’échelle” dans l’adaptation face à la situation climatique qui se dégrade. Prévue pour fin 2023, décalée à avril 2024, puis à une date indéterminée, la présentation du troisième plan national d’adaptation au changement climatique (PNACC 3) est en attente. Stand-by bien pratique quand Bruno Le Maire, ex-ministre de l’économie, cherchait en avril dernier 10 milliards d’€ de rabotage et que 22% de l’effort global s’est porté sur l’écologie avec une baisse de 2,2 milliards d’euros des crédits de paiement. Coupe drastique qui se confirme cet été avec la perspective d’une diminution de 60% du Fond vert et une réduction de 35% du financement de l’établissement public pour la transition écologique (ADEME), soit un budget incitatif de 900 millions d’euros contre 1,373 milliard en 2024. Le retard s'accroît, l’équilibre budgétaire pour le climat s’éloigne.

“Les budgets ont un genre et il est masculin”

La lutte contre les inégalités femmes-hommes et violences sexistes et sexuelles (VSS) est aussi victime du retard d’action des gouvernements successifs depuis 2017. Avec le gouvernement Barnier, cela ne va pas aller en s’améliorant. Non seulement parce que, malgré une parité de façade, les femmes sont réduites à la portion congrue de 36 % des postes de ministres de plein exercice (dont aucun régalien), mais 53 % des ministères délégués et 60 % des secrétariats d’Etat. Aussi, parce que la mission sur l’égalité des genres est rétrogradée du rang de ministère délégué à celui de secrétaire d’Etat, sous l’égide du ministre des Solidarités. Les associations féministes pointent dans le communiqué publié ce 23 septembre par la Fondation des femmes, « l’absence d’un ministère de plein exercice sur les droits des femmes ». 36%, c’est certainement le seul respect proportionnel des dernières élections législatives. En effet, avec seulement 36 % de femmes élues parmi les député·es, le scrutin de juin 2024 confirme la baisse de leur représentation ; entre 2017 et 2024, la part de femmes a baissé de 2,7 points.

Même si le budget pour lutter contre les VSS et les inégalités femmes-hommes a augmenté de 50 millions en cinq ans, pour atteindre 0,04 % du budget global de l’Etat, on est bien loin du milliard attendu, le futur de ce dernier s’éloigne même. En avril dernier le budget de 77 millions d’euros, dédié à la grande cause du quinquennat 2017 puis 2022, était amputé de 10 %. Au-delà de la baisse du budget engagée, il s’agit de l’abandon d’un des marqueurs forts du macronisme. Le rapport 2024 du Haut Conseil à l’Egalité femmes-hommes (HCE) rappelle que 86 % des femmes déclarent avoir déjà subi une situation sexiste, et que 37 % ont subi une « situation de non-consentement ». Le rapport montre aussi une augmentation exponentielle de 83 % des plaintes pour violences conjugales depuis sept ans. Ce qui fait que, proportionnellement, le budget moyen par femme victime de violences a diminué de 26 %. Revoir à la baisse les ambitions gouvernementales à l’égard des femmes ne se justifie donc en aucun cas par une amélioration réelle de leur situation.

Fin 2023, la CdC, encore elle, n’est pas tendre sur l’absence de moyens, de calendrier, d’indicateurs de résultats, ni de cibles, des 150 mesures de luttes contre les VSS promises par Marlène Schiappa. Pire, elle affirme que le budget à l’égalité est « peu lisible », ne suit pas « l’explosion des demandes d’accompagnement » et, par la voix de Catherine Démier, présidente de chambre à la CdC, que même si les crédits budgétaires ont pu être féminisés, comme ils sont verdis parfois, les budgets sont affectés à des politiques plus générales. C’est donc un bilan plus que mitigé qui est dénoncé, accumulant les… retards.

Dans la thématique, bien plus pernicieuses est l’absence de financements de mesures liées aux lois visant à la protection des droits des femmes et des minorités de genre, ainsi que les coupes budgétaires liées à la santé. Aussi, malgré la promesse de redynamisation des politiques de santé suite à la crise du Covid-19, la désertification médicale s’accentue. Cela impacte l’accès à l’IVG par exemple. Si une maternité est fermée, c’est aussi un bloc opératoire en moins et donc moins d’accès à l’IVG instrumentale. La constitutionnalisation de l’IVG ne sert à rien sans l’accès et les budgets de santé consacrés à l’avortement. Tout comme la révision à la baisse du financement des Affections de Longue Durée (ALD). En effet, l’influence du genre constitue un facteur de risque de discriminations dans la prise en charge médicale. Les femmes victimes de psycho traumatismes liés aux VSS rencontrent des difficultés pour accéder à des soins spécifiques en raison de la rareté du soutien spécialisé. Malgré la forte prévalence des violences contre les filles et les femmes, et ses effets avérés sur la santé mentale et physique, les affections psychiatriques de longue durée comme la dépression récurrente, les troubles bipolaires ou le syndrome post-traumatique, pourraient ne plus faire partie des ALD. Tout comme l’infection par le virus de l'immunodéficience humaine (VIH) nécessitant un traitement prolongé ou encore les cancers issus de papillomavirus (80% des femmes sont exposées à ce virus). Enfin, sous prétexte de rigueur budgétaire (et de racisme), la menace de la réduction, voire la suppression de l’aide médicale d’État (AME), a aussi des relents de patriarcat. Le gouvernement, en annonçant son intention de conditionner l’accès AME aux revenus du couple, augmentera la dépendance des femmes vis-à-vis de leurs conjoints et complexifie leur accès aux soins. La femme étrangère déjà vulnérable, n’aura d’autre choix que de demander à son conjoint de payer ses frais médicaux, ce qui parait inconcevable en cas de violences conjugales. L’AME ne représente que 0.47 % du budget de l’Assurance-maladie, or il est estimé que ce dispositif permet au système de santé français d’économiser jusqu’à 69 % des dépenses liées ; l’accès aux soins précoces permet de limiter la propagation de maladies infectieuses au sein de la population et les coûts associés.

Autre exemple que le choix des politiques budgétaires est genré : l’augmentation du Smic. Les droites et l’extrême droite, en répétant leur refus d’augmenter le Smic, refusent de fait l’indépendance financière des femmes. Les femmes représentent 62 % des salarié·es au salaire minimum, 15,1 % des femmes ont un niveau de vie inférieur au seuil de pauvreté. Un moyen efficace pour réduire les inégalités salariales, sortir les femmes de la pauvreté et sécuriser leur indépendance passe par l’augmentation du Smic.

Alors que le PLF 2025 sera examiné dans les prochaines semaines, il ne faudra pas compter sur le nouveau gouvernement écolodénialiste, raciste et anti-progressiste sur les questions de genre. L’argent ne coulera pas à flot pour lutter contre les effets du changement climatique et ceux des violences faites aux femmes et minorités de genre. Cependant, tout comme le PLF, les prochains mois seront sous le signe du retard à la française.

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