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L'Iran, le pays où la répression s'intensifie de jour en jour

Selon Amnesty International, le recours à la peine de mort en Iran a doublé depuis l’émergence du mouvement « Femme, Vie, Liberté »

Illustration de Clothilde Le Coz

Clothilde Le Coz

02 oct.

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L'Iran, le pays où la répression s'intensifie de jour en jour

Selon Amnesty International, le recours à la peine de mort en Iran a doublé depuis l’émergence du mouvement « Femme, Vie, Liberté »

Illustration de Clothilde Le Coz

Clothilde Le Coz

02 oct.

La 79ème Assemblée Générale des Nations-Unies s’est tenue à New-York la semaine dernière. La Prix Nobel de la Paix, Narges Mohammadi a fait parvenir une lettre à son Secrétaire général pour lui demander d’agir pour que cesse les atteintes aux droits humains en Iran. Selon Amnesty International, 2023 est l’année présentant le nombre record d’exécutions depuis huit ans et le recours à la peine de mort a doublé depuis l’émergence du mouvement « Femme, Vie, Liberté ».  

Ce mouvement demande la fin de la théocratie islamique. Il est né en réaction au décès en détention de Mahsa Amini, 22 ans, à Téhéran le 16 septembre 2022.  Elle avait été violemment arrêtée pour non-respect du strict code vestimentaire iranien.

Pour Nahid Naghshbandi, chercheuse par intérim sur l’Iran à Human Rights Watch (HRW) « Les autorités n’ont pas rendu de comptes pour les centaines de meurtres et les milliers d’arrestations de femmes, et elles ont systématiquement poursuivi leur répression des opposants, de la société civile et des militant-e-s des droits humains. À ce jour, ni le changement de gouvernement ni l’entrée en fonction du nouveau président n’ont apporté le moindre changement aux actions répressives des autorités envers la dissidence. » 

Dans une interview donnée à CNN le 24 septembre, le président iranien Massoud expliquait que “le changement, ça prend du temps” et a esquivé la question du journaliste qui lui demandait si les femmes pouvaient à présent sortir tête nue en Iran.  

Nouvelle vague de répressions en avril 2024

Depuis septembre 2023, le projet de loi d'urgence visant à rendre plus strict code vestimentaire, a été approuvé par la commission judiciaire du parlement qui a également convenu que cette loi sera mise en œuvre de manière expérimentale pour une période de trois ans (généralement le cas en période de crise). Cela a également été approuvé par le Conseil des gardiens.

En avril 2024, une nouvelle vague de répressions s’est abattue sur les femmes suite aux déclarations du guide suprême, Ali Khamenei, qui a affirmé que le hijab était une “obligation religieuse et légale”, exhortant tous les “fonctionnaires, citoyens et promoteurs de la vertu” à s’acquitter de leur devoir en le faisant respecter. Le commandant des forces de sécurité de l’État a annoncé qu’à partir du 13 avril, la répression contre les femmes ne respectant pas le hijab obligatoire serait considérablement intensifiée dans tous les lieux publics. Les tristement célèbres patrouilles de la moralité ont donc fait leur retour dans les rues pour arrêter les femmes non voilées et des témoignages ont également fait surface selon lesquels des caméras de surveillance sont utilisées pour identifier les conductrices qui ne respectent pas ces règles.

La Mission internationale indépendante d’établissement des faits de l’ONU sur l’Iran a conclu en septembre à une escalade de violence depuis le printemps dernier. Selon cette dernière, “les forces de sécurité ont encore intensifié les schémas préexistants de violence physique, notamment en frappant, en donnant des coups de pied et en giflant les femmes et les filles perçues comme ne respectant pas les lois et les réglementations sur le hijab obligatoire”.

Rappelons également que pour Ali Khamenei, le port du hijab était dès 2018 une réponse au mouvement #metoo qui devait mettre fin au harcèlement des femmes.

Le militantisme implicite

Le militantisme organisé contre les violences sexuelles et sexistes en Iran reste risqué. Le secteur universitaire iranien n’a de cesse de dépolitiser ses recherches pour les mener à bien et travailler sur le temps long. Aujourd’hui, les chercheureuses utilisent souvent des cadres d'analyse individualisés et axés sur la famille pour discuter des violences. Cette approche leur permet de s'attaquer à ce problème tout en évitant les “lignes rouges”.

Le militantisme se fait implicite. Les violences sexuelles et sexistes sont un sujet souvent abordé dans la culture populaire. Si la télé iranienne, exclusivement gérée par l'État, offre une image homogène et traditionaliste des femmes, le cinéma iranien a spécifiquement montré un grand intérêt pour les questions sociales, y compris le problème des violences. Ce militantisme implicite est une forme de désobéissance que le régime essaie également de contrôler. Cela ne se manifeste pas que par le cinéma. Par exemple, le rappeur Toomaj Salehi, soutien du mouvement de contestation contre le pouvoir, a été reconnu coupable et condamné à mort pour “corruption sur terre” en raison des opinions qu’il a exprimées dans le cadre des manifestations nationales de 2022 à la suite du décès de Jina Mahsa Amini. C’est un chef d’accusation fréquemment utilisé par le régime contre ses opposant·es. Il est également condamné à deux ans d’interdiction de quitter l’Iran et d’exercer toute activité artistique. Le chanteur Shervin Hajipour, un fervent partisan du mouvement Femme, Vie, Liberté  a été condamné à trois ans et huit mois de prison pour ’“activités de propagande contre la République islamique” et d’“incitation à l’émeute”.

Les violences conjugales comme combat affiché

Fondée en 1979, la République islamique d'Iran est l'un des six États membres des Nations unies n’ayant pas ratifié la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes (CEDAW). Peu après sa création, le nouvel État islamique a abrogé les lois sur la protection de la famille introduites par le précédent régime Pahlavi (1925-1979), qui visaient à renforcer les droits des femmes dans des domaines tels que le divorce et la garde des enfants, entre autres. La position idéologique du régime islamique à l'égard du genre et du rôle des femmes dans la société a conduit à l'adoption de nouvelles lois s'inspirant fortement d'un courant spécifique de la jurisprudence islamique chiite. Résultat : les violences sexuelles et sexistes, en particulier les violences conjugales, ne sont que rarement signalées, malgré leur fréquence, car le soutien institutionnel aux personnes concernées est limité.

Durant les 100 premiers jours de 2024, 50 femmes ont été tuées par un ou plusieurs hommes de leurs familles dans tout le pays. Ces cas sont documentés et sont officiellement recensés – 25% d’entre eux considérés comme “des crimes d’honneur”. Selon le journal Shargh, qui reprend les statistiques officielles de l’an dernier, elles sont au moins 165 femmes tuées de la sorte en moins de deux ans. Ici, les chiffres n’indiquent qu’une tendance et ne sauraient être exhaustifs car la violence à l'égard des femmes n'est pas reconnue par la loi dans le pays et ne bénéficie pas d'un statut juridique particulier.

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Cet article a été publié une première fois par Popol Media le 15 mai 2024 puis actualisé le 1er octobre 2024. 

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