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La cagole, nouvelle icône féministe 

Au-delà d’une revisitation parfois opportuniste et condescendante sur fond de pop culture et des réseaux sociaux, la cagole est bel et bien devenue une icône féministe et sociale et force est de constater que son panache et son appétit de vie sont parfois drôlement efficaces. 

Illustration de Camille Dumat

Camille Dumat

15 févr.

selective focus photography of woman's pink manicure
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La cagole, nouvelle icône féministe 

Au-delà d’une revisitation parfois opportuniste et condescendante sur fond de pop culture et des réseaux sociaux, la cagole est bel et bien devenue une icône féministe et sociale et force est de constater que son panache et son appétit de vie sont parfois drôlement efficaces. 

Illustration de Camille Dumat

Camille Dumat

15 févr.

Difficile de parler de Marseille, des femmes et de féminisme sans évoquer la fameuse “cagole” et la réputation ainsi que les représentations qui lui collent à la peau. Difficile de ne pas l’évoquer et en même temps difficile de la définir, surtout quand on vit à Marseille depuis seulement une toute petite poignée d’années.

Commençons par quelques définitions “officielles”. Selon Le Robert, la cagole est un nom féminin et régional (sic.) qui renvoie à une jeune fille ou jeune femme qui affiche une féminité provocante et vulgaire. Vulgaire. Le mot est lâché.

Selon le Robert, vulgaire est un adjectif péjoratif qui désigne ce qui manque d’élévation et de distinction ou qui choque la bienséance. Dans une utilisation plus ancienne, “vulgaire” désignait aussi quelqu’un qui n’était “que cela”. Comme dans “Je ne le connais du tout, ce n’est qu’un vulgaire passant”. Juste ça, que ça.

Si l’on creuse un peu plus les recherches, on apprend que le mot “cagole” aurait deux origines.

Il viendrait du verbe provençal “cagar” qui veut dire ni plus ni moins que “déféquer” et pourrait aussi venir du “cagoulo”, le tablier des femmes qui travaillaient au début du XXème siècle dans les usines d’empaquetage de dattes et dont les salaires étaient si bas qu’on imaginait qu’elles se prostituaient pour pouvoir tenir le coup financièrement. 

Dans l’imaginaire collectif, la cagole est donc une femme qui manque de distinction (mais selon quels critères ?), elle est “trop”. Elle parle trop fort, elle rit trop fort, elle s’habille trop moulant, trop brillant, elle est soit trop jeune pour s’habiller comme ça, soit trop vieille pour s’habiller comme ça, elle a l’accent du Sud et des expressions du cru. Elle aime le léopard, les balayages, les sacs de marque… C’est en tout cas l’image qu’on s’en fait. Et si la cagole est 100 % marseillaise et que le terme peine à dépasser les frontières de la région PACA, elle n’en est pas moins devenue une expression, fort utile, pour quiconque voudrait se refaire une santé sur le dos de “plus” que lui. Il est très difficile de définir la cagole et d’en donner une image exacte. La cagole représenterait tout ce que nous n’osons pas faire, un maître étalon de la norme. Une manière, en somme, de se sentir mieux dans son blazer Sézane. C’est exactement le sens de la vulgarité, un mot qu’on plaque sur les autres, sans jamais se douter qu’on sera toujours le vulgaire de quelqu’un·e. La cagole est pour certain·es un outil de différenciation. Il y aurait la cagole et les autres femmes. 

Depuis les années 2000, la cagole a infiltré l’imaginaire féministe dans une réappropriation de la féminité et aussi dans une lutte contre les diktats imposés par le capitalisme et le patriarcat, où la minceur est reine et où le corps comme le comportement doit être dompté pour ne jamais être “trop” justement : trop gros, trop bronzé, trop voyant, trop attirant et donc trop violable. La cagole nous oblige aussi à penser le corps des femmes dans l’espace public et à leur désir d’avoir un corps sexué - exactement dans les proportions de leur choix, jamais trop ni pas assez - sans que celui-ci ne soit jugé. Elle renverse le stigmate de la “salope”, de “l’allumeuse” qu’on cherche à rendre responsable des agressions et des violences dont elle pourrait être la victime. Et l’on a pu voir, grâce aux colleuses marseillaises, ce slogan s’afficher sur les murs de Marseille : “La coupable, c’est pas moi, ni mes fringues ni l’endroit : le violeur c’est toi”. Et même si la cagole a son pendant masculin, le fameux cacou !, elle est toujours pensée seule, indépendamment de toute fonction sociale. Peut-être la cagole a-t-elle un mari, des enfants, un métier, mais cela ne la définit pas. Elle se refuse à accueillir quelques images que les femmes tentent d’endosser au gré des vagues féministes successives. Good mum, bad mum, vieille fille, célibattante, love my job, to the moon and back, queen, mamacita, aucun # ne saurait lui être accolé. La cagole est mieux qu’indépendante, elle est autonome. 

Aujourd’hui, à Marseille, les Marseillaises et les Marseillais se sont peu à peu approprié·es cette figure. En 1997, un groupe de supportrices de l’OM, se sont regroupées derrière une banderole “Cagole’s band”, revendiquant cette féminité outrancière dans un monde extrêmement masculin. À Marseille toujours, le collectif Cagole nomade qui organise des soirées inclusives et festives a lui aussi contribué à réinvestir cette figure mythique et à en redéfinir les termes :

Cagole, nom non-genré, désigne une personne libre dans sa tête et dans son corps, qui met en lumière sa propre puissance par son authenticité.

Au-delà d’une revisitation parfois opportuniste et condescendante sur fond de pop culture et des réseaux sociaux, la cagole est bel et bien devenue une icône féministe et sociale et force est de constater que son panache et son appétit de vie sont parfois drôlement efficaces. 

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