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La femme de personne – La single révolution

Illustration de Camille Dumat

Camille Dumat

09 juin

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La femme de personne – La single révolution

Illustration de Camille Dumat

Camille Dumat

09 juin

« Qui a envie de les connaître si aucun compagnon ne dépend d’elles ? Si elles ne sont la mère de personne ? La femme de personne ? L’amante de personne ? Si elles ne sont ni célèbres, ni influentes ? » – Nuala O’Faolain, On s’est déjà vu quelque part ?

Ces dernières années, la réflexion féministe a investi le champ des rapports amoureux. Les livres sur la question sont nombreux, Réinventer l’amour de Mona Chollet, Sortir de l’hétérosexualité de Juliet Drouar. On pense aussi au podcast de Victoire Tuaillon, Le cœur sur la table. C’est tout un système qui se déconstruit, les représentations sont en train de changer. Il devient important d’infléchir les effets délétères d’une société capitalisto-patriarcale et de remplacer les stéréotypes qui régissent nos vies intimes et affectives, rarement flatteurs, par un imaginaire plus libre et bien plus en phase avec une société où les liens ne seraient plus ceux de la violence et de la domination.

Et l’on dit oui, oui, faisons la révolution ! Mais dans cette grande réinvention, une figure encore nous résiste, notre petit angle mort : la femme seule. 

On envisage de devenir lesbienne, on réinvente l’amour, on sort de l’hétérosexualité, on se lance dans la grande aventure du polyamour. Quelque fois on sacrifie un podcast ou deux à la “vie solo” mais alors, toujours, il faut offrir, en échange du consternant spectacle de notre solitude, la promesse d’une vie toute en fiesta, grande tablée entre ami.e.s, trek ressourçant en Colombie, projet d’écriture. Il faut être une “queen”, une “badass”. Mais affirmer “je suis seule”, “je vis seule” juste ça, sans rien pour le justifier, cela reste encore difficile et sur ce sujet, étrangement et malgré quelques concessions de façade au célibat heureux (forcément !), le milieu féminisme ne semble guère plus dégourdi qu’une dame cathé.  

Il serait pourtant injuste de ne pas reconnaître que le féminisme a beaucoup œuvré pour valoriser la solitude féminine, pour en révéler le caractère créatif et épanouissant. La figure de la vieille fille, terne et sèche, forcément méchante, n’est plus d’actualité. L’année 2022, en particulier, a été marquée par une série de livres et de podcasts qui prennent la question du célibat à bras le corps. Nous vous avons parlé dans Popol Post du livre de Marie Kock, Vieille fille, du podcast de France Culture Sologamie, tous les deux passionnants. Les langues seraient-elles en train de se délier ? En tout cas, le sujet est sur le devant de la scène, au point que certain·es parlent même de “single révolution”…

Mais pourquoi est-ce aussi difficile d’aborder cette dimension de la vie des femmes ? Pourquoi le célibat féminin doit-il toujours être pensé sur la même vieille dichotomie inutile du couple/célibat, mère/non mère, joie/malheur ? Et surtout pourquoi parle-t-on de révolution, de réinvention ? Pourquoi ne voit-on pas ce qui était là, sous nos yeux, depuis toujours ?

La solitude des femmes est une réalité sociale, politique, historique, intime, culturelle. Heureuse ou malheureuse, choisie ou subie : toute femme à un moment donné de sa vie traversera une période de solitude, plus ou moins longue. On ne sait pas grand-chose de ces destins, de cette histoire, de ce que cela implique vraiment, les joies, les ténèbres, le rôle social et politique. Et c’est dans doute là que réside une partie du problème.

Par exemple, saviez-vous qu’à la fin du XIXème siècle, au plus fort de la société industrielle et de l’urbanisation, ce sont les femmes seules des classes moyennes et aisées qui ont fait, les premières, l’intermédiaire entre les bourgeois et les classes populaires ? Quand il est devenu évident que les œuvres de charité ne suffiraient plus pour affronter les effets du capitalisme sur la vie des plus pauvres et que les métiers dits “sociaux” se sont développés, les “vieilles filles” ont trouvé là le moyen d’une émancipation tout en participant au débat politique à une époque où elles en étaient totalement exclues.

Des filles de magasins, en passant par les receveuses des postes, les institutrices, les assistantes sociales, le célibat féminin a toujours eu une utilité sociale, politique, économique et culturelle importante.

C’est aussi cette histoire-là qui nécessite d’être dite, à côté des dates Tinder foireux, des voyages entre copines, de la fameuse pression sociale, de la congélation des ovocytes.

Il était sans doute urgent de valoriser l’indépendance des femmes (enfin !), de combler un déficit de représentation, mais il est temps maintenant de donner à cette indépendance la possibilité de s’exprimer pleinement. Et cela ne concerne pas seulement les célibataires, les femmes sans enfants, mais toutes (et tous même !). Car une chose est de dénoncer les rapports de domination, une autre est de s’autoriser à s’en libérer vraiment, et ce ne sera possible qu’en cultivant notre capacité d’autonomie personnelle et collective. La femme seule, là depuis toujours, n’est ni plus malheureuse, ni plus heureuse qu’un·e autre, mais pour sûr, dans notre quête d’affranchissement intime et politique, elle nous sert de guide.

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