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La fête des mères 

Une parole peine encore à se faire entendre, celle des femmes qui n’ont pas d’enfant : parce qu’elles ne le veulent pas, parce qu’elles ne le peuvent pas, parce qu’elles n'ont pas su ou ne savent pas encore si elles en veulent. 

Illustration de Camille Dumat

Camille Dumat

07 févr.

red and white heart mom's graffiti
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La fête des mères 

Une parole peine encore à se faire entendre, celle des femmes qui n’ont pas d’enfant : parce qu’elles ne le veulent pas, parce qu’elles ne le peuvent pas, parce qu’elles n'ont pas su ou ne savent pas encore si elles en veulent. 

Illustration de Camille Dumat

Camille Dumat

07 févr.

L’année dernière pour la fête des mères, nous avions écrit dans Popol post un article sur les femmes qui n’avaient pas d’enfant. Les mères de personne. Dans cet article nous interrogions la difficulté que nous avions tous et toutes à penser le destin des femmes vides d’enfants, même dans les rangs féministes, où tous les tabous sautaient depuis le choix à disposer de son corps jusqu’au droit de revendiquer une maternité différente, de s’autoriser à être une mauvaise mère, d’exprimer des regrets… tous sauf celui de se projeter dans une vie sans enfants. 

La sortie du président de la République sur le réarmement démographique a provoqué, à juste titre, un tollé. Outre la grotesquerie de toute la séquence, la sottise du terme, l’absence totale d’à-propos saupoudré d’un zeste de fascisme larvé, les femmes se sont élevées massivement contre cette énième instrumentalisation de leur corps (et accessoirement de leur existence et de tous les autres liens qu’elles pourraient avoir envie de nouer et de créer au cours de leur vie). Au son de “lâchez-nous l’utérus” nous nous sommes insurgées, d’autant que ce plan de “réarmement” a été suivi tout de suite après par le refus du président du Sénat d’inscrire le droit à l’IVG dans la Constitution. On aurait pu croire que ces débats enflammés allaient enfin permettre de penser la nulliparité plus justement et plus précisément, de sortir de l’image de l’éternelle jeune fille immature et éprise de liberté, d’en interroger la place dans l’histoire et dans la société, de réfléchir aussi, puisque tel est le sujet abordé par le président, à ce que cela signifie que de ne pas réussir à concevoir et à fonder une famille… Peut-être aussi à mettre l’enfant à naître au cœur de nos préoccupations, plutôt que les intérêts démographiques et démagogiques d’une nation, ou nos propres projections narcissiques.

Il n’en a rien été et cette résistance nous interroge. Nous vous remettons donc ici, cet article intitulé “Fête des mères”.

Ces dernières années, le combat féministe a investi le champ de la maternité. Pour que les lignes bougent, pour révéler les zones d’ombre, faire changer les lois d’une société où toute la charge repose encore beaucoup sur les femmes et pour qu’existe aussi une autre narration, celle où la maternité pourrait être plurielle, sortie du couple, de la seule hétérosexualité… Et c’est en effet une grande avancée que cette maternité qui se dérobe enfin à une norme dont les limites n’ont cessé de peser sur les femmes. Pourtant, une parole peine encore à se faire entendre, celle des femmes qui n’ont pas d’enfant : parce qu’elles ne le veulent pas, parce qu’elles ne le peuvent pas, parce qu’elles ne l’ont pas su et ne le savent pas encore.

“C’était un délire d’une génération de féministes wonderwoman : des femmes qui regrettent de ne pas être mère.” Voilà ce que titrait le Figaro le 11 mai 2023 dans un article que l’on aurait cru sorti d’un autre âge tant il alignait des arguments rétrogrades et d’une faiblesse consternante. Et dont on imagine qu’il est une réponse à un mouvement récent qui a vu certaines femmes déclarer publiquement leur regret d’être mère. Dans cet article donc, des femmes y racontent leur regret d’avoir cédé aux sirènes du féminisme, une autre de ne pas transmettre son histoire familiale. Tous les clichés sont convoqués, depuis l’avortement “de confort” dont on ne dit pas assez aux femmes que c’est un trauma, la fameuse horloge biologique qu’on ne peut certainement pas ignorer impunément et enfin, last but not least comme on dit outre-manche, le célèbre égoïsme de la femme nullipare qui cède aux sirènes de la bamboche (“Jusqu’à 38 ans, elles se sont senties jeunes filles, dans une quête de plaisirs et de découvertes…” sic.) et qui telle la cigale, se retrouvera fort dépourvue quand la bise sera venue. Cet article, publié dans un journal peu connu pour ses vues progressistes, ne fait pas tendance et par ailleurs, chaque femme a le droit de s’exprimer sur le sujet dans les termes qu’elle entend mais il est révélateur de la difficulté que nous avons encore, tous et toutes, à appréhender le parcours des femmes sans enfants.

Pourtant, une étude du magazine Elle/ifop datant de septembre 2022 montre que 30% des femmes nullipares en âge de procréer (de 15 à 49 ans) ne souhaitent pas avoir d’enfants. Et une Française sur trois âgée de 15 ans et plus estime qu’il n’est pas nécessaire de devenir mère pour être heureuse (merci Elle pour le scoop !). Cette enquête montrait aussi, que grâce aux lois sur la PMA, les femmes interrogées dissociaient le fait d’être en couple et celui d’avoir des enfants et de fonder une famille.

Ces chiffres, “vertigineux” pour reprendre les termes de l’article paru dans le Elledu 29 septembre 2022 (et il est vrai que les chiffres d’infécondité volontaire tournent généralement toujours autour de 4% et 5%), s’explique par une éco-anxiété grandissante, une méfiance vis-à-vis des rapports de genre dans une société patriarcale et enfin, par la crainte que la maternité soit un frein à l’épanouissement personnel (revoilà la fameuse égoïste doublée d’une hédoniste).

Quoi qu’on pense de ces chiffres et de la manière dont ils ont été tournés, ils restent intéressants dans la mesure où ils ont mis en lumière une réalité qui a toujours été pensée sous la forme de l’anomalie ou de l’étonnement : il existe des femmes qui ne sont pas mères. Puisqu’on parle de chiffres, il en est un qui ne change que très peu au cours des décennies, c’est celui des femmes qui n’auront pas d’enfants. Pour la dernière génération dont nous avons les chiffres, celle née entre 1960 et 1965, elle est de 13,5% (le chiffre tournait autour de 20% dans les années 1900 et de 12,7% dans les années 30). Ne pas être mère n’est pas une nouveauté et les raisons en sont multiples et parfois très intimes. Volontaire ou non, source de joie ou source de souffrance, deuil difficile ou connaissance de soi, désir d’autonomie ou aliénation sociale, l’infécondité est avant tout un chemin de vie et n’aura jamais seulement à voir avec l’éco-anxiété et le refus de sacrifier ses heures de sommeil et ses beuveries entre ami·es.  

En 2024, l’identité des femmes reste encore profondément marquée par le fait de devenir mère. Qu’on le veuille ou non, les bénéfices sociaux et moraux de la maternité restent encore si fort que nous continuons, nous féministes, de passer à côté d’un destin féminin méconnu, négligé, dont les enseignements pourraient pourtant nous être riches, intimement et politiquement. 

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