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« Tendre l’oreille c’est déjà leur permettre d’agir » : la situation des femmes rurales au Sénégal

Rencontre avec Codou Loum, journaliste et présidente du RIF, vice présidente de l’Association des femmes journalistes au Sénégal

Illustration de Clothilde Le Coz

Clothilde Le Coz

30 mars

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« Tendre l’oreille c’est déjà leur permettre d’agir » : la situation des femmes rurales au Sénégal

Rencontre avec Codou Loum, journaliste et présidente du RIF, vice présidente de l’Association des femmes journalistes au Sénégal

Illustration de Clothilde Le Coz

Clothilde Le Coz

30 mars

Codou Loum est journaliste et présidente du RIF, vice présidente de l’Association des femmes journalistes au Sénégal. Elle connaît bien le sujet des femmes qui vivent dans le monde rural et a accepté de parler à Popol de leur situation. Son constat est clair : elles n’accèdent pas à tout, la volonté politique de changement est quasi inexistante, mais la donne évolue grâce à la sensibilisation à leurs droits.

Quelles sont les barrières auxquelles les femmes du monde rural sont confrontées ?

D’abord, elles n’accèdent pas à la terre. Je l’ai constaté dès 2011 dans le cadre de mon enquête sur l’accès au foncier. La plupart des femmes appartenant au monde rural ne peuvent pas posséder les terres qu’elles cultivent. Quand elles disposent de terre, elles n’ont pas beaucoup de moyens – voire aucun – de les cultiver et pour celles qui peuvent la cultiver, elles n’ont pas les moyens de les transporter, de les transformer ou de les commercialiser.

Les barrières sont culturelles, sociales, politiques et religieuses. La terre est une richesse et chez nous, la richesse c’est pour les hommes. Quand vous êtes femme, vous vous mariez et vous partez dans une autre famille car l’héritage ne prévoit rien pour vous.

Quand elles souhaitent poursuivre leurs études, il est très difficile pour les jeunes femmes d’accéder à l’Université ; elles doivent migrer vers les villes, où elles font face à une kyrielle de difficultés - le logement, le transport, l’intégration etc.

Quelles sont leurs aspirations malgré ces barrières ?

Les jeunes femmes du monde rural souhaitent s’émanciper et accéder aux éléments les plus basiques. Prenons Internet par exemple ; elles ont le monde à portée de main, mais il reste encore inaccessible par manque de moyens et de réseau. Bien souvent, elles sont confinées à balayer, faire le ménage, aider leurs mères et il est très difficile de continuer des études et d’apprendre.

Pourtant, quant à 12 ans on leur demande ce qu’elles veulent faire, ces jeunes femmes nous disent « j’ai envie de devenir médecin, députée, professeure… mais j’ai peur d’être mariée jeune ». Elles savent déjà qu’il sera très difficile de poursuivre leur rêve d’étudier.

Comment expliquer cela ?

C’est un fait : les jeunes filles du monde rural sont plus exposées au mariage précoce.

Quand les jeunes femmes qui vivent dans le monde rural atteignent un certain niveau, pour aller au collège par exemple, elles posent problème. Les collectivités ne mettent pas de bus à disposition de ces élèves ; en ce qui concerne le logement, on ne peut pas les mêler aux jeunes hommes qui vont étudier en les mettant dans les mêmes chambres. L’environnement ne leur est donc pas favorable. Certains parents doivent les confier à d’autres parents et en réalité, les adolescentes sont mariées très tôt par manque de moyens et l’État les oublie.

Est-ce que cela change ?

Dans le monde urbain, les jeunes femmes sont plus averties et agissent en conséquence. Les jeunes femmes du monde rural tentent de les copier. Par exemple, elles travaillent dans le monde domestique urbain pendant les vacances (babysitter, petit commerce, ménage etc.), ce qui contribue à leur émancipation.

Beaucoup d’organisations défendant les droits des femmes, leur donnent la parole et contribuent à leur conscientisation et à leur autonomisation. Plus les femmes sont averties, plus elles arrivent à s’imposer. Aujourd’hui, avec l’avènement des réseaux sociaux, les femmes du monde rural arrivent à accéder à des femmes d’autres mondes qui portent des combats et qui les gagnent. Elles cherchent à copier leurs bonnes pratiques, à se libérer, notamment en ce qui concerne les violences basées sur le genre. Elles accèdent également plus aux médias et nous, femmes de médias, sommes également plus sensibles au fait de leur tendre le micro pour valoriser leurs actions, même traditionnelles, et les informer. La donne est en train de changer et tendre l’oreille, c’est déjà leur permettre d’agir.

Propos recueillis par Clothilde Le Coz

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