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L'eau en temps de guerre

Rencontre avec Lina Kushch, journaliste et première secrétaire de l'Union nationale des journalistes d'Ukraine

Illustration de Clothilde Le Coz

Clothilde Le Coz

04 févr.

tilt shift lens photography of black steel faucet
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L'eau en temps de guerre

Rencontre avec Lina Kushch, journaliste et première secrétaire de l'Union nationale des journalistes d'Ukraine

Illustration de Clothilde Le Coz

Clothilde Le Coz

04 févr.

La guerre qui se déroule en Ukraine a deux particularités par rapport aux autres guerres actuelles sur la scène internationale. C'est la seule guerre où l'utilisation de l'arme nucléaire est un scénario possible et le seul cas où un membre du Conseil de sécurité de l'ONU a envahi un autre pays.

“Une nouvelle habitude s'est installée en Ukraine. Lorsque vous avez une bouteille vide en votre possession, vous la remplissez presque automatiquement d'eau et la mettez dans un coin de votre salon. C'est ainsi que l'on se prépare également à une éventuelle attaque nucléaire, car cette eau ne sera pas contaminée”.

Lina Kushch travaille depuis plus de 25 ans comme journaliste, experte des médias et formatrice en journalisme. Elle a fait des reportages pour Reuters et la BBC et a travaillé comme chef du département des correspondants régionaux au sein du journal ukrainien Golos Ukrainy. Elle est également première secrétaire de l'Union nationale des journalistes d'Ukraine et membre de la Commission sur l'éthique journalistique de son pays. Clothilde Le Coz l'a rencontrée et elles ont discuté de la guerre pour Popol Post.

Cela fait plus de trois ans que l’Ukraine est en guerre. En y repensant, quels en étaient les signes annonciateurs ?

Cette guerre n'était en effet pas une surprise ; il s'est écoulé une année entière entre le moment où les discussions sur la possibilité de la guerre ont démarré et le moment où la guerre a réellement commencé.

En janvier 2022, j'ai demandé à notre organisation régionale de préparer un plan d'urgence, de cacher des informations sensibles, etc. Mais cela faisait peur à de nombreuses personnes. Certain.es de mes ami.es préparaient des sacs à dos, cherchaient des abris, allaient dans les magasins pour s'approvisionner. En réalité, personne ne voulait croire que si guerre il y avait, elle pourrait durer des années. 

Les premiers jours, nous avons réagi par la solidarité. J'ai passé les trois premiers mois à l’Ouest du pays et je m'en souviens très bien. J'étais en contact avec des gens à Kiev, où la nourriture manquait, où les médicaments étaient difficiles à obtenir. La solidarité, l'attention et la bonne volonté sont d'une grande aide pour survivre à ces périodes sombres.

Concrètement, qu’est-ce qui a changé dans votre vie quotidienne ? 

Beaucoup. Par exemple, le fait de ne pas dormir car j'entends des explosions toutes les nuits en ce moment. Quand je vais à l’étranger, je trouve cela reposant car je peux dormir.

Globalement, le rapport aux objets de la vie quotidienne change. 

Prenez les bouteilles d’eaux par exemple. Une nouvelle habitude s'est installée ; lorsque vous avez une bouteille vide en votre possession, vous la remplissez presque automatiquement d'eau et la mettez dans un coin de votre salon. C'est ainsi que l'on se prépare également à une éventuelle attaque nucléaire, car cette eau ne sera pas contaminée. Nous disposons de différents stocks essentiels : eau potable, conserves, eau de lavage. C'est devenu un réflexe.

On apprend aussi à voir les choses différemment. Le film alimentaire étirable est maintenant considéré comme celui qu'il faut mettre sur les fenêtres pour s'isoler des poussières de radiations si attaque nucléaire il y a. Les masques changent aussi ; on ne parle plus de ceux  qui peuvent nous protéger du du Covid mais plutôt de ceux qui nous permettraient de survivre à une telle attaque. En tant que journalistes, nous sommes même formé.es à l'utilisation de combinaisons de protection nucléaire.

Comment parvenez-vous à résister face à la situation ?

Dans la mesure du possible, il faut faire en sorte de ne pas penser à la guerre en permanence, mais il faut se préparer au pire scénario. Pour votre propre bien psychologique, il faut tenter d’être prêt.es au mieux pour l’affronter, mais ne pas donner sa vie et son temps à penser à ces scénarios. Y penser tout le temps, c’est laisser gagner la guerre. Alors si vous voyez que d'autres personnes soutiennent vos idées, ont les mêmes, regroupez-vous. C'est important pour la résistance et c’est là que ça commence.

Quel est l'enjeu aujourd'hui pour l'Europe ?

Si l'Ukraine perd cette guerre, les pays de l'UE devront dépenser plus pour leur propre défense et ils n'auront pas l'aide d'autres pays. Les pays de l'UE envisagent déjà d'augmenter le financement pour leurs armes afin de se préparer à la guerre avec la Russie. Les pays baltes se préparent d’ailleurs à une guerre avec la Russie d’ici deux ans. Il ne s'agit pas d'un scénario hypothétique ni d'une dystopie. C’est bien là et c'est en train de se produire.

En ce moment, certain.es comparaisons sont faites entre Donald Trump et Vladimir Poutine. Qu’en pensez-vous ?

Trump et Poutine sont en effet du même genre, à cela près que la Russie utilise un moyen différent pour atteindre les Ukrainien.nes : la langue. La plupart d'entre nous comprenons le russe - ce qui n'est pas vraiment le cas en France ou ailleurs en Europe. La Russie façonne les récits et les narratifs à travers les gros titres, les vidéos sur YouTube, etc. Avec notre espace culturel et historique commun, il est assez facile pour la Russie d'influencer l'opinion. La preuve en est :  Les médias russes sont interdits en Ukraine, mais le message passe toujours sur les réseaux sociaux.

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