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Le traitement médiatique des violences sexuelles et sexistes

L’analyse du traitement des violences sexuelles et sexistes dans les médias n’est pas seulement question de sémantique, il s’agit aussi de poser des questions plus cruciales.

Illustration de Camille Dumat

Camille Dumat

17 oct.

a remote control sitting in front of a television
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Le traitement médiatique des violences sexuelles et sexistes

L’analyse du traitement des violences sexuelles et sexistes dans les médias n’est pas seulement question de sémantique, il s’agit aussi de poser des questions plus cruciales.

Illustration de Camille Dumat

Camille Dumat

17 oct.

Le 5 octobre 2017, les accusations de viol à l’encontre du producteur de cinéma Harvey Weinstein font le tour du monde grâce à Twitter. C’est sur cette plateforme en effet que naît le mouvement #metoo (lancé en 2007 par l’activiste afro-américaine Tarana Burke pour dénoncer les violences dont sont victimes les femmes afro-américaines). La profusion des récits qui depuis tous les coins du monde affluent sur les réseaux sociaux montre l’ampleur d’un phénomène qui ne se réduit bien évidemment pas à Hollywood et au milieu du cinéma mais contamine la vie des femmes dans toutes ses dimensions, à la maison, à l’école, au travail, dans les transports.

Cette éruption de témoignages et le choc que cela a constitué pour l’ensemble de la société a mis en lumière une certaine incapacité à traiter publiquement et ensemble la question des violences sexuelles et sexistes (VSS). Comment se fait-il que nous ayons été si peu informé·es, si peu sensibilisé·es ? Plus de cinq ans après, le décalage entre l'importance culturelle et sociale de #metoo et l’intervention des pouvoirs publics reste encore énorme : les VSS ne reculent pas et les moyens ne sont pas mis en oeuvre par l’État. Plus de 80% des plaintes déposées sont classées sans suite et sur ces 80% seules 1% aboutissent à une condamnation judiciaire. Les raisons de ces chiffres sont liées à la difficulté qu’ont les victimes à prouver les violences, mais aussi aux principes d’impartialité et de contradictoire ainsi qu’à la présomption d’innocence. Sans même parler du mythe de la femme vengeresse face à l’homme innocent traîné dans la boue dont on sait qu’il continue de hanter tous les imaginaires.

Dans ces circonstances, il est important d’interroger le rôle des médias et la manière dont ils se sont emparés de ce problème, l’idée n’étant pas seulement de dénoncer des publications mais de sonder leur rôle à la fois négatif et positif, puisque si leur responsabilité est grande dans l’invisibilisation et à la minimisation de ces violences, ils peuvent aussi prendre leur part dans la sensibilisation et dans la prévention de ces violences. Les choses ont beaucoup évolué dans les rédactions depuis #metoo. À commencer par l’utilisation systématique des termes “féminicides” et “violences conjugales” qui remplacent le “drame passionnel” autrefois largement répandu et dont le but était à la fois de minimiser les faits, d’en nier le caractère systémique et la pluralité des violences commises. En somme, les violences étaient toujours de même nature : un mari malheureux, parfois alcoolique, qui malencontreusement tue sa femme dans un accès de démence dictée, donc, par la passion. Pas de pluralité dans le profil des agresseurs, pas de pluralité dans la nature des violences dont on sait qu’elles peuvent être de multiples natures : physiques, verbales, psychologiques, sexuelles, administratives et économiques.

Dans une étude publiée en avril 2023 et concentrée sur la presse marseillaise, le collectif Prenons la Une s’est penchée attentivement sur les traitements de violences sexuelles dans les médias, sur les avancées et les pistes à améliorer. Si l’on peut se féliciter d’un travail sur les termes et sur l’absence d’ironie dans les articles, les journalistes de Prenons la Une notent tout de même que les articles concernant les violences sexuelles et sexistes sont encore trop souvent circonscrits à la rubrique faits divers, ce qui empêche une contextualisation des faits et la possibilité aussi de proposer aux victimes ou aux lecteurs et lectrices des compléments d’information et de sensibilisation (chiffres, numéros dédiés, travail associatif). Grâce à cette étude, les journalistes ont identifié quelques travers faciles à éviter mais qui reste souvent d’actualité comme les photos qui valorisent l’agresseur (un acteur accusé de violence posant au festival de Cannes entouré d’actrices souriantes), la minorisation des faits via des termes comme “tenter d’embrasser”, “une main sur la cuisse” au lieu des termes “agressions sexuelles”. Bon nombre d’articles continuent aussi à mettre sur le même pied d’égalité la victime et l’agresseur et à ne pas contextualiser la stratégie de défense de l’agresseur en précisant que ce dernier était en état d’ébriété par exemple, laissant entendre que ce serait une circonstance atténuante alors même que dans les faits comme dans la loi, c’est une circonstance aggravante.

Dans cette étude les journalistes élaborent aussi quelques recommandations pour les rédactions : éviter de réduire le propos aux violences physiques et montrer la diversité de ces violences, montrer la diversité des agresseurs, décrire l’escalade des violences conjugales, respecter la vie privée et le consentement des victimes, ne pas culpabiliser les victimes, ne pas déresponsabiliser les auteurs de violences, ne pas juger les circonstances de la rencontre entre la victime et son agresseur comme par exemple insister sur le fait qu’ils se soient rencontrés sur internet, interroger les rapports de pouvoir qui sont en jeu et non réduire la violence à une simple perte de contrôle. L’analyse du traitement des violences sexuelles et sexistes dans les médias n’est donc pas seulement question de sémantique, il s’agit aussi de poser des questions plus cruciales. Comment montrer la diversité de ces violences et leur ampleur ? Comment sensibiliser au mieux ? Comment la parole des victimes circule-t-elle dans les médias ? Quelle place donner aux agresseurs ? Autant de questions importantes qu’il faudrait creuser pour que la parole des victimes soit non seulement entendue mais aussi que les effets sociaux et politiques répondent à cette prise de parole. Car c’est certain : les médias ont un immense rôle à jouer dans la prévention de ses violences, dans l’accompagnement des victimes et dans la sensibilisation, notamment des jeunes générations.

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