Les données officielles indiquent que 599 600 enfants sont nés en Russie au cours du premier semestre 2024. C’est 16 000 de moins qu’en 2023 et le chiffre le plus bas depuis 1999. Le Kremlin a qualifié ce chiffre de « catastrophique » et cherche désespérément à l'augmenter. La dernière tentative est celle de l'interdiction de la « propagande en faveur des sans-enfants », adoptée à l'unanimité par le parlement russe en novembre 2024.
Désormais, toute personne surprise à diffuser des messages en faveur du mouvement “childfree” est désormais passible d'une amende. La semaine dernière, une première amende a été attribuée dans le cadre de cette loi à une habitante de Sébastopol qui avait repris un même de Rick & Morty sur ses réseaux sociaux avant la mise en place de la loi.
Pour Daria Timchenko, journaliste russe qui a travaillé pendant plus de 10 ans comme rédactrice du supplément hebdomadaire de Kommersant, l’un des plus importants quotidiens russes, “ça n'est que le début d’une propagande très sérieuse en Russie”. Daria Timchenko a quitté la Russie en 2022 suite à l’invasion russe de l’Ukraine et nous fait part de son opinion concernant la politique nataliste de la Russie et ce que cela dit du pouvoir actuel.
Propos recueillis par Clothilde Le Coz
As-tu été surprise par l’adoption de cette loi contre la propagande “childfree”?
Oui et non. Les efforts fournis par le gouvernement pour augmenter le taux de natalité ne sont pas nouveaux. J’ai moi-même eu mon deuxième enfant en 2007 et c’est aussi l’année choisie par le gouvernement pour allouer plus d’argent aux familles dès la naissance de leur deuxième enfant.
Si l’on regarde la situation démographique de la Russie, ces efforts politiques ne sont donc pas surprenants car il y a effectivement un grand problème démographique. Mais en réalité, c’est aussi la guerre qui crée cette situation. Personne ne souhaite devenir parent en période de guerre et beaucoup d’hommes sont morts au front. Avec ce genre de mesure, le gouvernement espère en quelque sorte créer un antidote au mal qu’il engendre lui-même. En octobre 2024, avant que la loi soit signée, un sondage donnait le résultat selon lequel les jeunes sont plutôt contre la loi et les plus âgé.es plutôt pour. Là non plus, rien d’étonnant.
Ce qui surprend quand même c’est le ciblage spécifique de cette propagande “childfee”, qui reste largement minoritaire dans la société russe en réalité. C’est pour cela que cette loi est volontairement très vague. En soi, si vous conseillez une personne de ne pas avoir d’enfants, vous pouvez être poursuivi pour “propagande”. En général, les personnes poursuivies par ce genre de nouvelles mesures ne vivent pas dans les grandes villes et pourtant, leur cas est très couvert par les médias pour être sûr que tout le monde soit bien au courant, ce qui permet d’instaurer la peur parmi la population.
Tu penses que cela participe d’une idéologie plus grande ?
Bien sûr. Vladimir Poutine se veut le défenseur des valeurs familiales pour le monde entier et pas seulement pour la Russie. D’ailleurs, le retour des conservateurs au pouvoir aux Etats-Unis aujourd’hui peut même alimenter son discours politique. Il dira que les Etats-Unis changent de direction car ils voient bien que leur idéologie n’était pas la bonne.
Pour moi, cette loi a été faite pour sanctionner les associations qui oeuvrent en faveur de l’accès à l’avortement. En Russie, l’avortement est légal depuis longtemps et aujourd’hui petit à petit, on en vient à penser que cela peut être remis en question. Par exemple, en 2025, dans 16 régions du pays, chaque femme qui souhaite avorter et se rendra dans une clinique va devoir lire une lettre signée de notre patriarche pour essayer de les en dissuader.