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Politique nataliste en Russie : “Ce n’est que le début d’une propagande très sérieuse”

"Ça n'est que le début d’une propagande très sérieuse en Russie”. Daria Timchenko a quitté la Russie en 2022 suite à l’invasion russe de l’Ukraine et nous fait part de son opinion concernant la politique nataliste de la Russie et ce que cela dit du pouvoir actuel.

Illustration de Clothilde Le Coz

Clothilde Le Coz

29 janv.

baby in white shirt and black pants lying on brown carpet
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Politique nataliste en Russie : “Ce n’est que le début d’une propagande très sérieuse”

"Ça n'est que le début d’une propagande très sérieuse en Russie”. Daria Timchenko a quitté la Russie en 2022 suite à l’invasion russe de l’Ukraine et nous fait part de son opinion concernant la politique nataliste de la Russie et ce que cela dit du pouvoir actuel.

Illustration de Clothilde Le Coz

Clothilde Le Coz

29 janv.

Les données officielles indiquent que 599 600 enfants sont nés en Russie au cours du premier semestre 2024. C’est 16 000 de moins qu’en 2023 et le chiffre le plus bas depuis 1999. Le Kremlin a qualifié ce chiffre de « catastrophique » et cherche désespérément à l'augmenter. La dernière tentative est celle de l'interdiction de la « propagande en faveur des sans-enfants », adoptée à l'unanimité par le parlement russe en novembre 2024.

Désormais, toute personne surprise à diffuser des messages en faveur du mouvement “childfree” est désormais passible d'une amende. La semaine dernière, une première amende a été attribuée dans le cadre de cette loi à une habitante de Sébastopol qui avait repris un même de Rick & Morty sur ses réseaux sociaux avant la mise en place de la loi.

Pour Daria Timchenko, journaliste russe qui a travaillé pendant plus de 10 ans comme rédactrice du supplément hebdomadaire de Kommersant, l’un des plus importants quotidiens russes, “ça n'est que le début d’une propagande très sérieuse en Russie”. Daria Timchenko a quitté la Russie en 2022 suite à l’invasion russe de l’Ukraine et nous fait part de son opinion concernant la politique nataliste de la Russie et ce que cela dit du pouvoir actuel.

Propos recueillis par Clothilde Le Coz

As-tu été surprise par l’adoption de cette loi contre la propagande “childfree”?

Oui et non. Les efforts fournis par le gouvernement pour augmenter le taux de natalité ne sont pas nouveaux. J’ai moi-même eu mon deuxième enfant en 2007 et c’est aussi l’année choisie par le gouvernement pour allouer plus d’argent aux familles dès la naissance de leur deuxième enfant. 

Si l’on regarde la situation démographique de la Russie, ces efforts politiques ne sont donc pas surprenants car il y a effectivement un grand problème démographique. Mais en réalité, c’est aussi la guerre qui crée cette situation. Personne ne souhaite devenir parent en période de guerre et beaucoup d’hommes sont morts au front. Avec ce genre de mesure, le gouvernement espère en quelque sorte créer un antidote au mal qu’il engendre lui-même. En octobre 2024, avant que la loi soit signée, un sondage donnait le résultat selon lequel les jeunes sont plutôt contre la loi et les plus âgé.es plutôt pour. Là non plus, rien d’étonnant.

Ce qui surprend quand même c’est le ciblage spécifique de cette propagande “childfee”, qui reste largement minoritaire dans la société russe en réalité. C’est pour cela que cette loi est volontairement très vague. En soi, si vous conseillez une personne de ne pas avoir d’enfants, vous pouvez être poursuivi pour “propagande”. En général, les personnes poursuivies par ce genre de nouvelles mesures ne vivent pas dans les grandes villes et pourtant, leur cas est très couvert par les médias pour être sûr que tout le monde soit bien au courant, ce qui permet d’instaurer la peur parmi la population. 

Tu penses que cela participe d’une idéologie plus grande ?

Bien sûr. Vladimir Poutine se veut le défenseur des valeurs familiales pour le monde entier et pas seulement pour la Russie. D’ailleurs, le retour des conservateurs au pouvoir aux Etats-Unis aujourd’hui peut même alimenter son discours politique. Il dira que les Etats-Unis changent de direction car ils voient bien que leur idéologie n’était pas la bonne.

Pour moi, cette loi a été faite pour sanctionner les associations qui oeuvrent en faveur de l’accès à l’avortement. En Russie, l’avortement est légal depuis longtemps et aujourd’hui petit à petit, on en vient à penser que cela peut être remis en question. Par exemple, en 2025, dans 16 régions du pays, chaque femme qui souhaite avorter et se rendra dans une clinique va devoir lire une lettre signée de notre patriarche pour essayer de les en dissuader.

Vois-tu un parallèle avec l’adoption de la loi anti-LGBT de 2022 ? 

Tout à fait, même si la loi de 2024 cible pour l’instant moins de personnes. L’homophobie est très présente en Russie et depuis que le gouvernement la soutient ouvertement et légalement, cela s’est empiré. Beaucoup de personnes ont quitté la Russie en raison de cela. Une personne est morte en prison lors d’un interrogatoire car elle organisait des voyages pour les personnes LGBT en Russie.

Comme la loi de 2024, celle de 2022 était également pensée pour soutenir les valeurs traditionnelles et “défendre les enfants” face aux valeurs “woke” promues par les Etats-Unis et l’Europe. Nos politiques pensent que si les plus jeunes regardent la culture américaine ou européenne, cela va leur “donner envie” de changer de genre. Notre président est un peu obsédé par la question du genre. Il est allé jusqu’à déclarer que beaucoup de gens ne veulent pas vivre en Occident en raison des toilettes mixtes… et voit la lutte contre les toilettes mixtes comme un objectif idéologique important.

Je vois aussi un parallèle avec le fait que la loi sur la violence domestique n’a finalement pas été votée. En effet, limiter la violence domestique ne fait pas partie des priorités quand on libère les prisonniers, on les pardonne s’ils vont combattre et on les laisse revenir chez eux commettre des féminicides. Rien n’est fait pour les en empêcher. J’ai parfois l’impression que c’est inarrêtable, que les femmes sont lentement retirées du champ juridique, qu'on leur refuse d'abord la protection et bientôt, qui sait, la possibilité de décider elles-mêmes si elles veulent une famille et des enfants.

Tu trouves qu’aujourd’hui en Russie, on est forcé de devenir parent ? 

Non car c’est plus insidieux. Pour les personnes qui ont entre 20 et 40 ans, toute leur vie a été régie par la culture occidentale. Aujourd'hui il s’agit de la défaire au travers de mesures comme la loi anti-LGBT ou anti propagande “child free”. Cette machine de propagande est assez imparable et c’est un processus très sérieux. Ce qui marche le mieux d’ailleurs n’est pas l’interdiction mais la promotion. Le gouvernement donne un soutien financier aux jeunes foyers et aux étudiant.es qui ont des enfants. Dans les faits, les femmes ont le choix et  il n’y a pas d’obligation à être mère ou parent : ne pas faire d’enfant et risquer d’être coupé de la société ou en avoir et répondre aux exigences patriotiques. Il y aura d’autres lois, c’est sûr, ce qui rendra ce choix encore plus difficile. Je vais partager une anecdote qui en dit long : sur Tik Tok, Apti Alaoudinov, un général très suivi sur les réseaux (https://meduza.io/news/2024/08/19/a-zachem-vy-i-vashi-deti-nuzhny-etoy-strane-komandir-ahmata-apti-alaudinov-obratilsya-k-roditelyam-srochnikov-i-zayavil-chto-oni-dolzhny-voeva) a d'ailleurs déclaré récemment aux femmes redoutent que leurs enfants soient envoyé.es au combat que la guerre était la seule raison de leur existence car les enfants sont là pour servir le pays. 

Il est impossible de savoir comment cela affecte les décisions des citoyen.nes aujourd’hui et on le verra avec le temps. Mais pour moi, il s’agit de la première étape d’une idéologie très sérieuse qui peut mener à quelque chose de beaucoup plus important, comme la remise en cause de l'accès à l’avortement qui existe juridiquement depuis les années 1920 en Russie et a toujours été suspendu au gré des guerres et des répressions.

D’ailleurs, avec l'arrêt des financements américains,  beaucoup d’ONG russes qui œuvrent en faveur du droit des femmes doivent maintenant fermer. Elles sont sous le coup de la répression depuis longtemps.  D’abord taxées d'“agents étrangers” en raison de leurs financements, elles ont quitté le territoire et doivent maintenant fermer. On est en droit de se demander jusqu’où les droits des femmes vont reculer.

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Pour en savoir plus, lire l’article de RFE/RL “L'« Année de la famille » en Russie est synonyme de guerre contre l'avortement et le divorce”

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