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Les femmes et l’extrême droite

Comment peut-on voter pour un parti qui vous est tout à fait défavorable, voire franchement hostile (les député·es RN s’opposent systématiquement à tous les projets de loi pour réduire les écarts de salaire, entre autres nombreux exemples) ?

Illustration de Camille Dumat

Camille Dumat

25 juin

white concrete wall with graffiti
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Les femmes et l’extrême droite

Comment peut-on voter pour un parti qui vous est tout à fait défavorable, voire franchement hostile (les député·es RN s’opposent systématiquement à tous les projets de loi pour réduire les écarts de salaire, entre autres nombreux exemples) ?

Illustration de Camille Dumat

Camille Dumat

25 juin

C’était un fait établi : longtemps, les femmes ont été moins enclines que les hommes à voter pour les droites populistes. Selon la chercheuse Nonna Mayer, c’est en partie lié à des différences de statut socio-professionnel entre les hommes et les femmes. Le gros de l’électorat d’extrême droite se retrouve chez les ouvriers qui se considèrent comme “les grands perdants de la mondialisation”. Les femmes, parce qu’elles exercent des métiers moins manuels, seraient moins exposées à ce sentiment de déclassement. La circulation des idées féministes expliquerait aussi la réticence des femmes, surtout les plus jeunes, à voter pour des partis véhiculant une image traditionnaliste de la femme et de la vie de famille. Chez les femmes plus âgées, Nonna Mayer pointe l’influence de la religion, les propos outranciers et les idées peu charitables véhiculées par les représentants de l’extrême droite qui sont en effet assez loin des préceptes de l’évangile qui prône d’aimer son prochain comme soi-même… 

Pendant longtemps, cette différenciation entre les hommes et les femmes, que l’on appelle en anglais le “Radical Right Gender Gap”, était un phénomène notoire en France. Lors des élections présidentielles de 1995, l’écart de point entre les hommes et les femmes votant Front National était de 7 points. Pour les élections présidentielles de 2012, la première avec Marine Le Pen comme candidate, ce différentiel est parfaitement comblé et l’on observe même lors de l’élection présidentielle de 2017 une inversion de la tendance chez les 18-24 ans où plus d’un tiers des femmes ont voté pour la candidate du Rassemblement National. Entre les élections européennes de 2019 et celles de ce mois de juin, le RN a gagné 10 points dans l’électorat passant de 20% à plus de 30% et selon un sondage Ifop les femmes ont voté à 32% pour la liste de Jordan Bardella contre 31% pour les hommes.

Aussi difficile que ce soit à appréhender, l’électorat d’extrême droite est donc maintenant majoritairement féminin. Comment est-ce possible ? Comment peut-on voter pour un parti qui vous est tout à fait défavorable, voire franchement hostile (dans les instances européennes, les député·es RN s’opposent systématiquement à tous les projets de loi pour réduire les écarts de salaire, entre autres nombreux exemples) ?

Les explications sont multiples et parmi elles, l’habileté de Jordan Bardella à séduire un électorat plus jeune, un sentiment de précarisation qui touche aussi beaucoup les femmes, une forme d’anti-féminisme né de la délégitimation constante du féminisme. Mais aussi le fait que Marine Le Pen, comme nombre de femmes politiques d’extrême droite en Europe depuis au moins deux décennies, ait d’emblée ciblé les femmes dans leur campagne. En effet, il était illusoire de penser que la féminisation de la vie politique, que nous appelons de nos vœux, allait s’arrêter aux frontières de l’ultra-libéralisme et de l’extrême droite. Les nouvelles figures de la droite et de l’extrême droite n’hésitent pas à se revendiquer du féminisme, quand bien même leur acception du terme n’aurait plus rien de véritablement féministe, afin d’afficher un visage plus acceptable et d’élargir leur électorat en le féminisant. C’est le cas de Marine Le Pen, de Marine Le Pen mais aussi en Italie de Giorgia Meloni. Et donc de Jordan Bardella. 

La manipulation de la pensée féministe est l’un des grands outils de dédiabolisation du RN, ainsi que l’a encore montré la vidéo postée sur Twitter par Jordan Bardella, ce lundi 17 juin, où il s’adresse “à toutes les femmes de France”. Comme Marine Le Pen avant lui, il se pose en défenseur de la cause des femmes, réussissant dans un même mouvement à conquérir un nouvel électorat, à achever de dédiaboliser un parti dont on sait que les bases sont fondamentalement fascisantes, tout en justifiant sa xénophobie et son islamophobie (il faudrait protéger les femmes de la violence des hommes et des hommes racisés en particulier).

De toute évidence, cette stratégie est efficace. Elle nécessite pour nous, féministes, de regarder cette réalité en face, la faiblesse, parfois, de nos acquis, comme la volatilité de nos idées afin de renouer avec un féminisme politique fort.

Car ce pourrait être là, le faux pas de l’extrême droite, penser que le féminisme n’est qu’une simple philosophie de vie à destination des femmes. Nous savons, puisque nous en avons hérité et parce que nous l’expérimentons au quotidien que le combat féministe est riche d’une histoire, riche d’enseignements en termes d’organisation et d’efficacité politique. C’est une praxis dont nous ferons bon usage pour envisager un avenir moins sombre ! 

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