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L’IA, nouvelle lutte écoféministe ? 

L’avènement de l’IA rappelle ainsi l’essence des luttes écoféministe et socialiste au sens d’écosocialisme féministe. Il est bon de rappeler que la pensée écoféministe remet en cause une approche de la nature dominée par l'homme, par analogie avec la domination masculine sur les femmes.

Illustration d'Amandine Richaud Crambes

Amandine Richaud-Crambes

21 nov.

a computer chip with the letter a on top of it
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L’IA, nouvelle lutte écoféministe ? 

L’avènement de l’IA rappelle ainsi l’essence des luttes écoféministe et socialiste au sens d’écosocialisme féministe. Il est bon de rappeler que la pensée écoféministe remet en cause une approche de la nature dominée par l'homme, par analogie avec la domination masculine sur les femmes.

Illustration d'Amandine Richaud Crambes

Amandine Richaud-Crambes

21 nov.

L’intelligence artificielle (IA) est le nouvel eldorado des entreprises du numérique mais plus largement de toutes les couches industrielles ou servicielles. Elle est même considérée comme la quatrième révolution industrielle et une nouvelle forme de progrès disruptif. Les défenseurs de l’IA diront que grâce à celle-ci, de grosses économies d’énergies pourront être réalisées dans les bâtiments ou les usines avec la régulation des consommations, que le travail et l’accès à la connaissance seront facilités ou encore qu’elle sera une créatrice exponentielle de nouveaux emplois.

Cependant, ce discours ressemble fortement aux arguments capitalistes de l’industrialisation du début du XXème siècle ou à l’automatisation et à la mondialisation des années 80. Il est donc possible de nous interroger si le changement de la société par l’IA, ne serait pas tout simplement une reproduction de l’ancien monde et l’avènement d’un nouveau capitalisme blanc, dominant et extractiviste pour le XXIème siècle ?

En septembre 2024, l’Ademe (Agence Nationale de la Transition Ecologique) alerte sur les impacts environnementaux du numérique, des data centers et de l’IA. Celle-ci évalue que le numérique représente déjà 10% de la consommation d’électricité en France, une empreinte carbone qui pourrait tripler d’ici à 2050, 70 millions d’équipements (smartphones, téléviseurs) inutilisés, ni réparés, ni recyclés en France… Désormais bien documentés, les impacts environnementaux du numérique se révèlent de plus en plus importants. L’Ademe ajoute que « L’étude Hubblo a réalisé une évaluation des impacts environnementaux des centres de données à l’étranger hébergeant des données d’usages venant de France. Les principaux résultats de cette étude montrent que la part de l’empreinte carbone liée aux centres de données passerait de 16 % de l’empreinte carbone du numérique à 42 %. L’empreinte carbone de la France en 2030 passerait alors de 17 MtCO2 eq à 25 Mt Co2 eq ». 

Les data center GPU dédiées à l’IA nécessite six à neuf fois plus de puissance électrique qu’une « baie » de processeurs classiques (dédiés aux autres services fournis par les opérateurs de cloud), selon Equinix. « Ces GPU représentent déjà 10 % des processeurs dans nos data centers, mais bien plus de 10 % de notre consommation électrique. Et cette part va augmenter ».Les data centers représentent 2 % de la consommation mondiale d’électricité, soit un coût environnemental non négligeable. Outre l’électricité et l’empreinte carbone, les data centers dédiés à l’IA grignotent sur les sols et le foncier par le besoin de leur construction mais gaspillent également une quantité monstrueuse d’eau dans un contexte de tension mondiale renforcée par le changement climatique. Une conversation moyenne avec ChatGPT consomme approximativement 500 ml d’eau, des impacts considérables si l’on compte les 1,5 milliard d’utilisateurices mensuels. Les investissements dans cette nouvelle technologie sont en voie de dépasser ceux dans les énergies renouvelables. Ce nouvel outil du capitalisme, comme les actuels, trouve une fois de plus ses ressources dans la nature en exploitant les terres rares présentent dans les pays du Sud ou en Chine, dans le détournement de sources naturelles essentielles à la vie comme l’eau et le sol, ou encore renforcent les GES et donc le changement climatique. Il ré-ouvre également la question de l’énergie nucléaire.

Le travail n’est pas épargné par l’IA et l’impact négatif qu’elle peut avoir. La modernité, l’industrialisation et l’automatisme devaient révolutionner l’approche du travail en soulageant des tâches les plus lourdes et offrant plus de temps libre. Par effet domino, l’augmentation du temps libre pour la création, l’art, l’évolution des droits et de la société. Cela n’a pas eu l’effet escompté, à l’inverse, le travail s’est reporté sur d’autres emplois secondaires ou tertiaires, ainsi qu’un précarisation des emplois de sous-traitance. L’exploitation de la planète a aussi augmentée de façon disproportionnée. On voit dans les forces productives un instrument passif pour la production et l’expansion infinie du produit intérieur brut (PIB). Ce paradigme considère aussi bien la Terre que le travail comme des ressources nécessaires qu’il faut s’approprier et maintenir au coût le plus bas et le plus efficient possible [1] . Pour Stefania Barca [2], selon cette perspective, la crise écologique est considérée comme une conséquence des profondes inégalités créées par la modernité capitaliste/industrielle en assignant une valeur différenciée, de sorte que certains types de travail, de vie, de lieux et y compris d’espèces peuvent être sacrifiés sur les autels du bénéfice ou de la croissance du PIB. Considérée comme un succès indiscutable de l’humanité, la croissance économique est attribuée au génie blanc, masculin, européen, qui s’est traduit ainsi en suprématie planétaire. Cette pensée complète celle de Maria Mies [3] qui jeta les bases d’un écosocialisme féministe postcolonial, basé sur le rejet de la croissance du PIB comme mesure universelle de progrès. Pour elle, « la science et la technologie deviennent les principales ‘forces productives’, par lesquelles les hommes peuvent s'émanciper de la nature, ainsi que des femmes ».

L’avènement de l’IA rappelle ainsi l’essence des luttes écoféministe et socialiste au sens d’écosocialisme féministe. Il est bon de rappeler que la pensée écoféministe remet en cause une approche de la nature dominée par l'homme, par analogie avec la domination masculine sur les femmes. Cela conduit à condamner une vision de la gestion et de la protection qui serait celle des hommes blancs occidentaux. Catherine Larrère [4] cite des exemples d'approches féministes de la protection environnementale : plutôt qu'une mise sous cloche des milieux, ces approches préconisent une prise en compte des minorités dans la protection de la nature fondée sur l'éthique plutôt que sur des dispositifs techniques imposés verticalement. En ce sens, il s'agit d'une approche intersectionnelle des questions environnementales, décoloniales et économiques (décroissance). Dans la même veine, les femmes furent sous-humanisées et ont permis d’être la fourniture régulière de main-d’œuvre à bon marché pour soutenir l’industrialisation. [5]

Ce processus se reproduit avec l’IA. On parle beaucoup de la disparition des métiers de la culture comme cela a été incarné par la grève inédite des scénaristes et acteurices américain·es en 2023. Ces premières luttes restent pour autant des secteurs dominés par des hommes cis blancs avec un patrimoine culturel important. Cependant, le report de l’émergence de cette technologie va bel et bien se rabattre sur les plus vulnérables, c’est-à-dire les immigré·es, les femmes. On peut déjà s’interroger sur les transformations induites par le Digital Labor depuis quelques années et son l’accélération post-Covid19.  En effet, on remarque que les personnes qui subissent des discriminations en raison de leur genre, de leur nationalité, de leur couleur de peau, de leur origine sociale ou de leur âge sont touchées de manière spécifique par ces transformations et la généralisation du Digital Labor [6]. Par exemple, les chauffeurs et des livreurs travaillant pour les plateformes, sont souvent des hommes issus de l’immigration, ces « travailleurs du clic » peuvent aussi être des femmes, et où les femmes précaires et/ou exclues du marché de l’emploi peuvent se tourner vers ces emplois facilement accessibles. Par ailleurs, la complexité générée par la mondialisation de ces emplois produit de nouvelles répartitions mondiales des tâches du travail numérique liées à l’IA. Alors que la plupart des sièges des grandes entreprises du web sont situées dans le Nord, l’immense majorité des « travailleuses et travailleurs du clic » nécessaires à l’apprentissage de l’IA générative sont employé·es par des sous-traitants dans les pays du Sud. Quant à la censure algorithmique, elles touchent plus les créatrices et créateurs de contenu minorisé·es (féministes, racisé·es, trans ou grosses, etc…) qui voient alors leur travail menacé.

Une fois de plus, il est démontré que les nouvelles technologies ou les progrès techniques reproduisent les modèles du patriarcat capitaliste. Pourtant, au lieu d’accentuer les oppressions des minorités ou la domination de la nature, ces avancées scientifiques devraient aider à lutter contre les inégalités et réduire le changement climatique. Il devient urgent que nos sociétés redonnent du sens à l’humanité sous peine d’allumer les révolutions à toutes les échelles.

[1] (Barca, 2020 ; Federici, 2009 ; Moore, 2015).[2] Stefania Barca est chercheure au Centre d’études sociales de l’Université de Coimbra (Portugal), auteure de nombreux travaux sur l’écologie ouvrière et le syndicalisme.[3] Maria Mies fut une professeure de sociologie, écrivaine et féministe allemande.[4] Catherine Larrère est une philosophe française et une universitaire spécialiste de philosophe morale et politique.[5] Silvia Federici (2004) Calibán y la bruja [Caliban et la sorcière].[6] Eva Nada, sociologue, adjointe scientifique, Haute école de travail social, Genève, HES·SO

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