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Harris ou Trump, rien ne changera vraiment pour l’environnement

Il n’est pas remis en question que l’élection de Trump serait une catastrophe pour la lutte contre le changement climatique, on a eu un goût amer pendant 4 ans de son climato-négationnisme. Néanmoins, si Harris gagne, il n’est pas plus sûr que cela changera la donne actuelle.

Illustration d'Amandine Richaud Crambes

Amandine Richaud-Crambes

05 nov.

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Harris ou Trump, rien ne changera vraiment pour l’environnement

Il n’est pas remis en question que l’élection de Trump serait une catastrophe pour la lutte contre le changement climatique, on a eu un goût amer pendant 4 ans de son climato-négationnisme. Néanmoins, si Harris gagne, il n’est pas plus sûr que cela changera la donne actuelle.

Illustration d'Amandine Richaud Crambes

Amandine Richaud-Crambes

05 nov.

Les décryptages des programmes politiques concernant l’écologie et le climat émergent tout juste alors que la course à la présidence a commencé il y a des mois. Comme si ces sujets étaient à traiter en annexe d’une plus grande ambition ou étaient une variable d’ajustement des analyses. Ce constat se retrouve dans toutes les dernières élections d’ordre mondial ; même les élections européennes, généralement favorables au portage des questions environnementales, n’ont pas fait figure d’exception cette année. Mais, les raisons américaines sont plus complexes qu’une simple question de programme.

Il n’est pas remis en question que l’élection de Trump serait une catastrophe pour la lutte contre le changement climatique, on a eu un goût amer pendant 4 ans de son climato-négationnisme. Néanmoins, si Harris gagne, il n’est pas plus sûr que cela changera la donne actuelle. Car les mécanismes d’actions américaines freineront toutes politiques ambitieuses environnementales. Ceci pour 3 raisons : une approche étatique discutable, une Cour Suprême conservatrice ou encore, la dualité entre le local et le fédéral.

Tout d’abord, il faut comprendre que l’action fédérale étasunienne de la lutte contre le changement climatique, qu’elle soit démocrate ou républicaine, s’articule en priorité autour du capitalisme énergétique. Plus que de remettre en question le consumérisme américain des ressources naturelles ou des biens, que de favoriser la sobriété et la protection, l’action politique passe par des grands plans d’investissement, ciblés essentiellement sur les énergies renouvelables ou les technologies de compensation (ex : usine de captation de carbone). Étant le second émetteur mondial de gaz à effet de serre, il est indispensable que le pays accélère sa trajectoire de décarbonation. Cependant, le grand plan climatique de Biden, approuvé dans la douleur en 2022 par le congrès américain, montre bien que même avec une majorité de gauche, la lutte climatique n’est pas une priorité. En effet, l’aile droite des démocrates est peu encline à froisser ses donateurs dont la fortune est issue des énergies fossiles et pouront continuer de faire blocage, encore plus sous Harris. C’est ce qu’il s’est passer sur la loi sur la réduction de l’inflation (IRA) qui doit revitaliser le système énergétique américain en investissant dans les chaînes d’approvisionnement énergétiques américaines, la création d’emplois dans le secteur de l’énergie propre, la réduction des émissions et les économies d’énergie des consommateurs. Cependant, il faut être honnête, l’IRA doit surtout consolider la souveraineté énergétique et industrielle, conséquence de la guerre en Ukraine et plus largement de l’atmosphère belligérante mondiale. La menace de crise énergétique inquiète plus que le réchauffement climatique, problème pourtant bien plus destructeur. Cette quête de souveraineté, ajoutée à la création d’emplois, contribue à rendre la question de la transition énergétique moins partisane. À l’origine peu favorables au plan Biden, les Républicains cherchent maintenant à bénéficier de cet investissement et en faire leur étendard écologiste, car les sommes en jeu sont considérables : 370 milliards de dollars d’investissement pour cette industrie de l’énergie, encore des milliers de milliards dans le futur. Rappelons quand même, qu’aujourd’hui, les énergies fossiles demeurent largement dominantes aux États-Unis dans la production d’électricité (60 % en 2021), qui représente un quart des émissions de gaz à effet de serre du pays. Le pays, loin de vouloir se passer des sources d’énergie fossiles, continue de les développer : grâce aux hydrocarbures non conventionnels (pétrole et gaz de schiste), ils sont le premier producteur mondial de pétrole. Le pays consomme d’ailleurs à lui seul 20 % du pétrole mondial. La transition énergétique du pays vers des énergies renouvelables est donc à nuancer, puisqu’elles ne représentent que 9 % de la consommation énergétique nationale [i]. Les conservateurs, républicains ou démocrates, toujours coincés dans la pétromasculinité, ont donc tout à gagner.

D’ailleurs, pour en arriver à faire passer des lois, le président américain a dû faire des concessions que lui reprochent les militants environnementaux. Joe Biden a dû soutenir le projet d’un gazoduc controversé ainsi que l’autorisation du « Willow project » qui veut forer du pétrole en Alaska et dans des réserves appartenant aux natif.ves. Ce projet débouchera sur 576 millions de barils de pétrole en 30 ans, avec des émissions de CO2 équivalant à 60 centrales à charbon par an. En d’autres mots, le plus gros projet pétrolier des États-Unis, et surtout une bombe climatique. Encore un paradoxe qui peut faire basculer l’élection. 

La Cour Suprême est l’autre grosse problématique pour avoir une vraie action climatique. En effet, cette institution essentielle dans la vie politique des Etats-Unis peut transformer le visage de la société américaine sur des préoccupations majeures, comme le droit à l’avortement, le mariage homosexuel, l’immigration ou le réchauffement climatique. On l’a vu en 2022 avec la décision mortifère sur l’accès au droit à l’IVG ou sur la réglementation des armes à feu. Bien que cette affaire n’ait pas reçu autant d’attention que d’autres avis, la politique environnementale a subi un coup fatal. En effet, la plus haute institution des Etats-Unis a fortement réduit la capacité de l'Agence de protection de l'environnement (EPA) à agir pour la mise en œuvre de l’action climatique ou réguler les émissions de carbone des usines. Emplois supprimés, budgets coupés mais surtout compétences juridiques d’actions détruites. Cela s’inscrit dans un cadre général de déconstruction de l’État administratif fédéral états-unien par les conservateurs. « Le plafonnement des émissions de dioxyde de carbone à un niveau qui forcera la sortie du charbon au niveau national, pour la production d'électricité, peut être une solution sensée à la crise actuelle, a écrit le juge en chef John Roberts, dans sa décision. Mais il n'est pas plausible que le Congrès ait donné à l'EPA le pouvoir d'adopter de telles réglementations de sa propre initiative. ». Jusqu’ici, les agences fédérales, où travaillent scientifiques et experts, avaient le pouvoir de rédiger des règlements dans le cadre d’une loi générale votée par le Congrès. Or, pour les juristes conservateurs, hostiles à un pouvoir réglementaire et à un État centralisateur fort, il convient de limiter l’action des agences fédérales sur les « questions majeures » de politique publique comme l’environnement.

En 2022,l a Cour Suprême a également restreint le pouvoir des communautés amérindiennes, lanceuses d’alerte historique des destructions de la nature et de l’injustice environnementale, qui ont un rôle essentiel dans les luttes. Enfin, on peut pointer que seulement 4 femmes ont occupé un siège à la Cour suprême. Or, les femmes sont plus concernées par le changement climatique et lorsqu’elles sont à des postes de pouvoir, sont déterminantes pour accélérer la transition et favoriser sa mise en œuvre.

Ces décisions mettent en exergue des problèmes de gouvernance spécifiquement liés au fédéralisme, à des juges politisés et à un pouvoir central affaibli, au Congrès comme à la Maison Blanche. Un problème exacerbé par une vision idéologique conservatrice qui a contaminé tous les sujets, y compris le changement climatique, et la science en général. Les juges conservateurs étant majoritaires et installés encore pour de nombreuses années, la balance des avis favorables à l’environnement ne va pas changer, quelques soient les résultats de l’élection présidentielle.

En l’absence d’une politique fédérale claire et un plan bien plus large que les enjeux énergétiques, c’est au local que se passent les choses les plus intéressantes. En effet, dans le système fédéral états-unien, les fonds fédéraux sont souvent administrés en coordination avec les États. Selon la façon dont les fonds seront dépensés par les États, certaines dispositions de la loi pourraient en fait entraîner une augmentation nette de la pollution par le carbone. [ii] Cela montre clairement comment les municipalités sont des acteur incontournables de la prise en charge de la lutte contre le changement climatique. Depuis plusieurs années, quatorze villes étatsuniennes, dont New-York, San Francisco, Miami, Boston et Portland, ont rejoint Cities Climate Leadership Group (C40) qui regroupe aujourd’hui une centaine de grandes métropoles dans le monde et représente 600 millions d’habitants, 25 % du PIB mondial et 70 % des émissions de GES. Ce sont les villes qui subissent le plus les dégâts engendrés par les catastrophes naturelles, exacerbées par le changement climatique. Tempêtes et ouragans provoquant des inondations et des destructions massives dans le sud des Etats-Unis ; méga feux et sécheresse dans l’est détruisant des milliers d’hectares de nature menaçant l’agriculture ou les vies des habitants ; vague de froid intense et glacières, paralysant l’ouest américain et mettant à mal les infrastructures et les réseaux urbains. C’est donc à elles que revient la responsabilité de mettre en œuvre des solutions d’adaptation des villes et de leur économie. Le choix de leur gouvernance prend d’autant plus d’importance. 

Elliott, Deby, Milton ou Kirk auraient pu être des électeurices décisifs de la prochaine présidentielle. Cependant, les candidat.es les ont vite oubliés, comme les vies et emplois détruits à cause de leur passage. Alors si aujourd’hui, pour avoir une vraie action climatique, nous arrêtions d’attendre des Etats qu’ils fassent leur devoir et que nous nous tournions vers le local ? Car c’est à ces échelles souvent que les enjeux et les conséquences sont plus graves; choisir l’action directe. Aux Etats-Unis, mais aussi en Europe, en France, les élections municipales ou locales seront au final bien plus décisives pour la société, le progressisme des droits et l’environnement, que les élections présidentielles.

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