Outre une exploitation quasi similaire des animaux et des femmes, leurs liens sont aussi des bases de lutte. Ce n’est pas anodin si environ 70% des activistes pour les animaux seraient des femmes. D’après les recherches de Christiane Bailey [3], la démographie particulière du mouvement de défense des animaux en ferait même un des principaux mouvements féminins après le mouvement féministe lui-même.Les femmes ont tendance à se préoccuper davantage des façons dont nos sociétés traitent les animaux. D’ailleurs, les derniers chiffres de l’INSEE montrent que les femmes et minorités de genre consomment moins de viande que les hommes. La domination masculine repose tant sur la consommation de la viande que sur le contrôle du corps des femmes. Les hommes voient en ce bout de viande des notions patriarcales de pouvoir et de performance [4]. L’anthropologue Peggy Reeves Sanday a par ailleurs effectué des recherches poussées sur des centaines de cultures contemporaines et non-technologiques. Elle en a conclu que dans les sociétés moins carnistes, les hommes ont une place beaucoup plus égalitaire avec les femmes. Les hommes y sont, par exemple, plus impliqués dans l’éducation des enfants ou la préservation de l’environnement.
Encore aujourd’hui, les pratiques et institutions centrées sur la violence et la mise à mort des animaux sont dominées par les hommes (élevage, chasse, pêche, trappe, abattage, boucherie, expérimentation, rodéos, corrida, etc.). Tout comme enfermer, mutiler et tuer des individus vulnérables sans leur consentement sous couvert du droit, de la religion ou de la tradition (esclavage, excision, viol, anti-IVG, etc.). Le spécisme occupe une place essentielle dans les mécanismes discriminatoires et contribue fortement aux divisions sociales qui structurent et hiérarchisent la société dans son ensemble. Il hiérarchise les êtres vivants et les humains : l’adulte mâle est supérieur à la femelle et aux enfants, le mâle dominant est supérieur aux mâles esclaves qui le servent, n’importe quel humain adulte mâle se croit supérieur aux autres espèces, à la nature même. D’ailleurs, dans un article d’Usbek & Rica [5], Myriam Bahaffou explique très clairement ce processus identique dans la colonisation : “la question « de l’animal » est alors centrale, puisque toutes les personnes « racisées » se sont toujours vues associées aux bêtes, c’est ce qui a justifié leur exploitation, leur esclavage, leur extermination. Aujourd’hui, les femmes racisées, notamment Africaines en France, sont encore souvent représentées comme « sauvages » et « indomptables » – un imaginaire raciste qui renvoie directement aux animaux.”
Le destin et la solidarité entre les femmes, les peuples autochtones, les groupes racisés et les animaux sont le résultat de l’histoire commune du patriarcat, de la suprématie blanche, du colonialisme et de la suprématie humaine. L’écoféminisme doit donc être à l’intersection des luttes antispéciste, décoloniale, antiraciste, anti-raciste, anti-capitaliste, il doit soutenir l’abolition de toutes les dominations et œuvrer au bien-être animal, car ses luttes se nourrissent mutuellement.
Pour conclure, une citation de l’écoféministe Norma Benney qui annonce un possible futur de l’histoire commune des femmes et des animaux : “Il n’est ni correct ni juste de revendiquer la liberté pour nous-mêmes, sans revendiquer en même temps la liberté des créatures qui partagent la planète avec nous, qui sont cruellement opprimées de la naissance à la mort par des attitudes et des systèmes patriarcaux et qui n’ont pas le pouvoir des femmes pour s’organiser”.
[1] L’anthropocentrisme est une philosophie, une religion, une représentation du monde qui place l’humain adulte mâle, l’Anthropos, au centre de l’univers, supérieur à toute entité vivante.[2] « Capitaliste » vient du latin « caput », signifiant « la tête », à l’origine la tête de bétail.[3] Doctorante en philosophie à l’Université de Montréal et membre du Groupe interuniversitaire de recherche en éthique environnementale et animale. Elle a notamment publié « Le capitalisme, les animaux et la nature chez Marx ».[4] Myriam Bahaffou, chercheuse en philosophie féministe.[5] https://usbeketrica.com/fr/article/pour-animaliser-femmes-deshumaniser-animaux-ecofeminisme