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Bilan de 20 ans de recul pour le droit des femmes en Turquie

Illustration de Clothilde Le Coz

Clothilde Le Coz

16 mai

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Bilan de 20 ans de recul pour le droit des femmes en Turquie

Illustration de Clothilde Le Coz

Clothilde Le Coz

16 mai

Recep Tayyip Erdoğan est au pouvoir en Turquie depuis 20 ans. Le 1er tour des élections turques le met en ballotage ; rien n’est gagné. Chez Popol, on a fait le bilan de ses 20 ans au pouvoir pour les droits des femmes.

Côté face : faire plaisir à l’Europe

Vous vous en rappelez ? La Turquie est officiellement candidate à l’entrée à l’UE depuis 1987, reconnue par cette dernière en 1999 comme pays candidat, comme aujourd’hui l’Ukraine. Les pourparlers ont officiellement démarré en 2004. C’était le début du règne de l’AKP et d’Erdoğan. Une grande partie de l’opinion européenne reste contre cette adhésion et les obstacles à son intégration à l’UE sont nombreux : reconnaissance de la minorité kurde, atteinte à la liberté de la presse et droit des femmes notamment.

Pour montrer que le pays fait des efforts, c’est donc en Turquie qu’un texte est rédigé et signé en 2011 pour renforcer et protéger davantage les droits des femmes. Connue sous le nom de Convention d’Istanbul, cette résolution prévoit une action juridique stricte contre ceux qui commettent des violences envers les femmes. En avril 2013, les députées ont le droit de porter des pantalons et depuis juin 2015, le Parti démocratique des peuples, le HDP – issu du parti politique kurde -, a fait son entrée à l’Assemblée nationale. Sur 80 élu·es, 31 sont des femmes, la première femme a fait son entrée dans le gouvernement : Aysen Gürcan, ministre de la Famille et des Service sociaux. En 2015, en collaboration avec le ministère de l’Éducation nationale, la première dame turque lance une campagne nationale pour promouvoir la scolarité des jeunes filles et organise une conférence internationale sur la place des femmes dans le monde des affaires.

Ces efforts sont souvent qualifiés de “façade” face aux décisions de fond, prises en parallèle.

Côté pile : « Incomplètes »

La même année que la signature de la Convention d’Istanbul, le « ministère de la femme » devient « ministère de la famille et des politiques sociales ». L’année d’après, il est question d’interdire officiellement l’IVG. Le maire d’Ankara, qui, par exemple, déclare alors : « Le ministre de la Santé a révélé que chaque année cent mille avortements sont opérés. Cela signifie que chaque année, on pratique 100 000 assassinats. Et pourquoi un enfant pâtirait-il de la faute de sa mère ? C’est la mère qui a fauté, qu’elle se donne la mort ! ». Un député de l’AKP, soutient aussi « qu’un violeur est plus innocent que la victime du viol qui se fait avorter ».

Si l’avortement est légal depuis 40 ans, il reste un véritable parcours du combattant. Par exemple, Istanbul ne compte qu’un seul hôpital public acceptant d’interrompre les grossesses non désirées. En 2020, l’Université Kadir Has d’Istanbul conclut que seule une dizaine de services publics pratiquaient encore l’IVG. Aucune directive écrite n’a pourtant été envoyée. Les médecins qui refusent de le pratiquer ne sont pas sanctionné·es. Lorsqu’on leur demande les raisons de leurs refus, la plupart des hôpitaux répondent que « l’avortement est illégal ou interdit », qu’ »il est interdit dans les hôpitaux publics » et encore qu’ »il dépend du choix du médecin ». Toujours selon ce rapport, 12% des hôpitaux publics n’offraient pas de services d’avortement volontaire en 2016, contre 54% en 2020.

En plus de rendre l’accès à l’avortement quasi impossible, l’indice de l’accès à la contraception est évalué à 55,7% en Turquie (il est de 90,1% en France à titre de comparaison). D’autres signes ne trompent pas : un vice-premier ministre qui conseille aux Turques de ne pas rire en public au nom de la décence un président qui soutient qu’une femme est « incomplète » quand elle n’a pas d’enfant et une première dame qui vante les mérites du harem qu’elle qualifie d' »école pour préparer les femmes à la vie », une Pride interdite depuis 2015 et un amendement récemment déposé pour faire en sorte que le mariage ne soit possible qu’entre hommes et femmes…

Depuis l’année dernière, l’ONG Kadin Cinayetlerini Durduracagiz (« Nous arrêterons les féminicides ») est poursuivie par le procureur d’Istanbul pour « activités contre la loi et morale », accusée de « détruire la famille au prétexte de la défense des droits des femmes ». Le bilan de cette association est pourtant révélateur : la seule année où les féminicides ont diminué était 2011, l’année de la signature de la Convention d’Istanbul. Entre 2020 et 2022, 914 femmes ont été tuées par des hommes, la plupart du temps par leurs maris.

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