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Entre tradition et modernité : les inégalités de genre au Japon

Les rapports entre les femmes et les hommes au Japon repose sur une répartition des rôles extrêmement forte. Aux hommes, l’obligation de travailler pour ramener de l’argent dans le foyer. Aux femmes celui de tenir la maison, d’élever les enfants et de s’occuper des parents âgés.

Illustration de Camille Dumat

Camille Dumat

06 mars

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Entre tradition et modernité : les inégalités de genre au Japon

Les rapports entre les femmes et les hommes au Japon repose sur une répartition des rôles extrêmement forte. Aux hommes, l’obligation de travailler pour ramener de l’argent dans le foyer. Aux femmes celui de tenir la maison, d’élever les enfants et de s’occuper des parents âgés.

Illustration de Camille Dumat

Camille Dumat

06 mars

Dans un rapport du Forum économique mondial sur les inégalités de genre, datant de 2018, le Japon était classé 110ème sur 149. La France quant à elle arrivait 12ème. Lorsque l’on évoque le Japon, l’un des clichés les plus tenaces réside dans cette phrase que l’on retrouve dans presque tous les guides touristiques et autres articles : « Le Japon, entre tradition et modernité ». Telle est la réputation du Japon, un pays ultra moderne, une locomotive économique mais aussi une société marquée par le respect des anciens et une Histoire secrète et mystérieuse, d’autant qu’avant l’ère Meiji (1868-1912), le Japon vivait replié sur lui-même, ses frontières fermées aux étrangers et influences étrangères. 

Cliché ou pas, il est évident que cette fameuse tradition joue un rôle majeur dans les inégalités de genre au Japon. Les rapports entre les femmes et les hommes au Japon repose sur une répartition des rôles extrêmement forte. Aux hommes, l’obligation de travailler pour ramener de l’argent dans le foyer. Aux femmes celui de tenir la maison, d’élever les enfants et de s’occuper des parents âgés. Et il est vrai que l’image de la femme japonaise reste celle d’une femme discrète et soumise, et surtout satisfaite du rôle que la société lui a désigné. Encore maintenant cette répartition reste tenace et place les femmes et les couples dans des situations difficiles, d’autant plus qu’elle est profondément ancrée dans l’éducation et rend alors difficile toute remise en cause du sexisme. Pendant longtemps, alors que les débats féministes enflammaient les pays d’Europe et les Etats-Unis, le sujet existait peu au Japon. Les femmes elles-mêmes avaient du mal à remettre en cause cet état de fait. 

C’est dans le monde du travail que les inégalités sont les plus violentes et les plus difficiles. En effet, si 70% des femmes japonaises travaillent, près de 50% cessent toute activité à la naissance de leur premier enfant. La pression sociale est si forte que nombre de femmes préfèrent démissionner et reprendre une activité une fois les enfants devenus grands. Cela a donc un énorme impact sur leur carrière et alors même que le Japon est un pays extrêmement industrialisé, les femmes sont seulement 13% à occuper des postes à responsabilité. Certains secteurs comme la médecine, l’automobile et l’industrie sont presque exclusivement masculins. 

Dans un monde du travail où les heures supplémentaires et la flexibilité sont essentielles, les femmes sont doublement pénalisées, tiraillées entre l’éducation des enfants et leur carrière. La maternité est aussi très mal vue dans les entreprises japonaises, au point qu’il existe même un terme « matahara » (pour Maternity Harassment) pour évoquer la pression et le harcèlement que les femmes enceintes et les jeunes mères subissent au travail. Il existe pourtant bien un congé maternité mais la loi n’est pas contraignante et il n’est pas rare que les femmes ne retrouvent pas leur poste à leur retour. Elles ne sont donc que 17% à y avoir recours. 

Cette exclusion des femmes est insidieuse, elle peut être aussi parfaitement orchestrée. En 2018, un journal japonais a révélé que depuis 2006, une prestigieuse université de médecine de Tokyo falsifiait les résultats des filles pour s’assurer que le nombre de candidates n'excède pas 30% des étudiants. Cette révélation a fait scandale autant que l’argument avancé par l’université en question : les femmes seraient moins fiables que les hommes et démissionneraient plus fréquemment. Le fameux serpent qui se mord la queue, puisque si les femmes démissionnent ce n’est pas parce qu’elles sont pas fiables mais parce qu’elles n’ont pas toujours d’autres choix. 

L’arrivée au pouvoir de Shinzo Abe au début des années 2010 a marqué un tournant pour les femmes japonaises. Sans doute plus motivé par la pénurie de main d’œuvre et une forte dénatalité, le premier ministre japonais a décidé de « faire briller la femme japonaise » et a donc entrepris une série de réformes visant à alléger le monde du travail et surtout de mettre l’accent sur la promotion des femmes à des postes à responsabilité. L’objectif affiché était d’atteindre 30% de femmes dans des postes d’envergure. L’échéance a été repoussée à 2030 ce qui en dit assez long sur la lenteur du process. Néanmoins, cela a permis de faire bouger les lignes et depuis 2017 le « haramata » est puni par la loi et les femmes elles-mêmes se mobilisent. En 2019, la militante féministe Yumi Ishikawa a lancé le mouvement #kutoo pour protester contre l’obligation pour les femmes de porter des talons hauts dans les entreprises japonaises. Le mouvement a été extrêmement suivi sur les réseaux et marque une rupture profonde avec des coutumes traditionnelles et tacites concernant les tenues que doivent porter les femmes au travail. 

L’image de la femme japonaise reste très figée et l’on promeut encore l’image d’une femme menue, fine et discrète au service de son mari. Ce qui impacte d’ailleurs leur accès au soin et à l’égalité sexuelle, puisque les femmes ont très peu recours à la pilule comme moyen de contraception par crainte de devoir dévoiler leur sexualité dans le cabinet du gynécologue. 

Il est toujours difficile de juger une société que l’on connaît peu et depuis un point de vue situé le plus loin possible. Si les inégalités de genre sont importantes au Japon, et si l’on peut avoir l’impression que les idées féministes y circulent de manière moins importantes et moins efficaces qu’en Europe, le Japon a, malgré tout et comme tous les pays, une histoire de lutte féministe importante. Et au Japon comme ailleurs, la politisation reste la clé d’une émancipation pérenne.

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