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Où est passé l’appétit des femmes ?

On peut légitimement critiquer le capitalisme et le patriarcat, cette association de malfaiteurs dont le ressort consiste à occuper les femmes, à lier leur pieds et leurs poings de toutes les manières qui soient, pour que justement, jamais, ô grand jamais, elles ne revendiquent leur place à la table, littéralement comme symboliquement. 

Illustration de Camille Dumat

Camille Dumat

24 juil.

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Où est passé l’appétit des femmes ?

On peut légitimement critiquer le capitalisme et le patriarcat, cette association de malfaiteurs dont le ressort consiste à occuper les femmes, à lier leur pieds et leurs poings de toutes les manières qui soient, pour que justement, jamais, ô grand jamais, elles ne revendiquent leur place à la table, littéralement comme symboliquement. 

Illustration de Camille Dumat

Camille Dumat

24 juil.

Dans un monde où certains ne mangent pas à leur faim, où un peuple est en train d’être affamé sous nos yeux et avec la complicité de nos gouvernements, dans un monde où les femmes sont une fois de plus en première ligne de cette course à la survie pour elles, pour leurs enfants, il paraît dérisoire de revenir sur le lien entre le féminin et la nourriture, de parler de TCA, de rapport au corps, de charge mentale, même de prononcer le mot « skinnytok » tant tout cela est indécent. Il n’empêche, le rapport des femmes à la nourriture est un sujet hautement féministe et peut-être aussi un sujet tabou.

Car c’est un fait, nous vivons dans un monde où la nourriture manque mais où des gamines de 12 ans sautent encore des repas pour mincir. On a beaucoup dit sur les épidémies d’anorexie et de boulimie, les médecins et les parents s’inquiètent depuis longtemps déjà : des jeunes femmes dévorent et des jeunes femmes se privent. Et cet équilibre-là, malgré la vague de body positive, ne cesse d’aller et venir et générations après générations, des jeunes filles se cachent, disparaissent, quittent la table.

On peut légitimement critiquer le capitalisme et le patriarcat, cette association de malfaiteurs dont le ressort consiste à occuper les femmes, à lier leur pieds et leurs poings de toutes les manières qui soient, pour que justement, jamais, ô grand jamais, elles ne revendiquent leur place à la table, littéralement comme symboliquement. 

Mais une question demeure, pourquoi la vie des femmes est-elle à ce point marqué par la nourriture, celle qu’on mange, celle qu’on doit préparer trois fois par jour, sept jours sur sept, celle qui vient à manquer, celle qui abîme le corps, celle qui est censé le sauver, celle qui doit maintenir un homme à nos côtés, celle qui fait de nous une femme accomplie. 

Toutes les femmes, ou presque, connaissent cette arithmétique, les repas que l’on saute, les calories que l’on compte, les bourrelets réels ou imaginaires que l’on essaie de dompter. Toutes les femmes ou presque, ont entendu ces phrases absurdes « Dix minutes dans la bouche, dix ans sur les hanches », « les hommes préfèrent les femmes avec des formes », « je ne suis pas grossophobe, mais c’est pour ta santé que je te dis ça » etc. Toutes les femmes ou presque ont entendu ces phrases absurdes de la bouche d’autres les femmes.

Dans son livre Mangeuses Lauren Malka pose cette question déchirante « Quelle femme a connu cette liberté du corps et des mœurs ? » , c’est-à-dire, quelle femme s’est simplement attablé devant son assiette, sans se poser de question, sans se tracasser, sans se priver, sans compenser, sans être scrutées ?  

Et l’autre question que pose son essai passionnant, c’est « que peut le féminisme pour que les femmes retrouvent leur appétit ? » Les générations se suivent et se ressemblent malgré les différentes vagues de féminismes, malgré les réseaux sociaux, malgré les voix qui s’élèvent, la coercition ne cesse de se transmettre. Et nous sommes toutes face à nos contradictions, un discours à la première personne, enfin !, une affirmation de soi, de sa liberté, de sa sexualité, la quête d’un destin désentravé, des portes qui s’ouvrent les unes après les autres et tout cela qui vient s’échouer sur un yaourt à 0%, sur un ventre que l’on rentre encore et encore. 

Comment rendre véritablement leur appétit aux femmes ? Comment leur rendre leur chair, leur corps ? Il est difficile de lutter contre une société qui n’a aucun intérêt à ce que nous soyons libres, les femmes encore moins que les hommes. Et les discours culpabilisants n’y changeront rien, nous sommes toutes de mauvaises féministes quand il est question de notre corps, mais au moins pouvons-nous contempler nos difficultés en face, en parler, savoir d’où elles proviennent, puiser dans les expériences de nos consœurs matière à se sentir moins faibles…  Où est passé l’appétit des femmes ?

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