Dans un monde où certains ne mangent pas à leur faim, où un peuple est en train d’être affamé sous nos yeux et avec la complicité de nos gouvernements, dans un monde où les femmes sont une fois de plus en première ligne de cette course à la survie pour elles, pour leurs enfants, il paraît dérisoire de revenir sur le lien entre le féminin et la nourriture, de parler de TCA, de rapport au corps, de charge mentale, même de prononcer le mot « skinnytok » tant tout cela est indécent. Il n’empêche, le rapport des femmes à la nourriture est un sujet hautement féministe et peut-être aussi un sujet tabou.
Car c’est un fait, nous vivons dans un monde où la nourriture manque mais où des gamines de 12 ans sautent encore des repas pour mincir. On a beaucoup dit sur les épidémies d’anorexie et de boulimie, les médecins et les parents s’inquiètent depuis longtemps déjà : des jeunes femmes dévorent et des jeunes femmes se privent. Et cet équilibre-là, malgré la vague de body positive, ne cesse d’aller et venir et générations après générations, des jeunes filles se cachent, disparaissent, quittent la table.
On peut légitimement critiquer le capitalisme et le patriarcat, cette association de malfaiteurs dont le ressort consiste à occuper les femmes, à lier leur pieds et leurs poings de toutes les manières qui soient, pour que justement, jamais, ô grand jamais, elles ne revendiquent leur place à la table, littéralement comme symboliquement.
Mais une question demeure, pourquoi la vie des femmes est-elle à ce point marqué par la nourriture, celle qu’on mange, celle qu’on doit préparer trois fois par jour, sept jours sur sept, celle qui vient à manquer, celle qui abîme le corps, celle qui est censé le sauver, celle qui doit maintenir un homme à nos côtés, celle qui fait de nous une femme accomplie.