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La bicyclette verte

Le « sexe » du vélo, c’est aussi la virilité de la chute, du risque, de la performance. Une passion que les hommes payent au prix fort : ils représentent 83 % des morts au Canada (2019), 72 % en Belgique (2017) et 86 % en France, notamment chez les livreurs à vélo, un nouveau et dangereux métier « d’homme ».

Illustration d'Amandine Richaud Crambes

Amandine Richaud-Crambes

12 mai

green city bicycle leaning on wall
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La bicyclette verte

Le « sexe » du vélo, c’est aussi la virilité de la chute, du risque, de la performance. Une passion que les hommes payent au prix fort : ils représentent 83 % des morts au Canada (2019), 72 % en Belgique (2017) et 86 % en France, notamment chez les livreurs à vélo, un nouveau et dangereux métier « d’homme ».

Illustration d'Amandine Richaud Crambes

Amandine Richaud-Crambes

12 mai

Encore plus depuis la pandémie de Covid-19, le vélo est devenu la star du déplacement urbain. Moyen de transport le plus économique après la marche, le vélo a les bienfaits d’être écologique, rapide et bon pour la santé. Cependant, dans une ville faite par les hommes, pour les hommes [1], l’impact positif du vélo n’est pas égale selon le genre et l’âge des cyclistes. Comme le rappelle l’ADEME dans une de ses récentes études, seulement un cycliste du quotidien sur trois est une femme[2]. Il en est de même dans la pratique cyclosportive, avec seulement 10 % d’adhérentes. Alors que nous sommes dans une ère où le vélo est l’outil d’émancipation et de lutte contre le tout-voiture, pourquoi les femmes sont sous-représentées ?

Une étude sur Bordeaux Métropole a été menée en 2021 par Yves Raibaud, géographe spécialisé dans le genre. Elle montre que 38% des cyclistes sont des femmes. Malgré une augmentation de la part modale des femmes à vélo, l’étude montre également dans quel but les femmes font du vélo.

Ainsi, il a été observé que lorsqu’il y avait le plus de femmes à vélo dans les rues, il était aux alentours de 18h, soit l’heure de la sortie du travail, des courses et des sorties d’école. De plus, il a été remarqué que les femmes sont plus chargées à vélo : sacs de courses, porte-bagages, sacoches, paniers, parapluies, etc. Les hommes sont deux fois plus nombreux que les femmes à ne rien porter. Cela est en rapport qu’en 2024 encore, les femmes étaient 76% à avoir la charge du fonctionnement du foyer lorsqu’elles sont en couple et 84% lorsqu’il y a au moins un enfant. Les hommes sont plus nombreux les soirées et dimanche après-midi. D’après l’étude, cet écart est dû à plusieurs facteurs, notamment au fait que les femmes font du vélo pour leurs déplacements quotidiens et ne se sentent pas forcément à l’aise sur des espaces non aménagés et non éclairés. En effet, l’enquête a également révélé que les femmes ont un sentiment d’insécurité la nuit à vélo. En effet, l’écart se creuse la nuit et par temps de pluie : 78 % des cyclistes sont alors des hommes. Le pourcentage d’hommes ne passe jamais en dessous de 56 % des cyclistes, toutes places, horaires et jours d’observations confondus.

C’est évidemment le cas aussi pour les hommes mais il nous semble important de souligner que les femmes sont plus souvent amenées à effectuer des trajets dangereux, la charge mentale en étant la cause. Par exemple, il est important de noter que beaucoup de femmes ont recours à l’utilisation du vélo pour éviter de prendre les transports en commun, parfois anxiogènes ou encore que la plupart des personnes qui n’ont pas accès à l’apprentissage du vélo sont des femmes.

On constate en effet une pratique du vélo significativement plus faible pour les femmes, et en particulier les jeunes filles : à l’enfance et l’adolescence, les garçons pratiquent presque 6 fois plus le vélo que les filles, un écart qui se réduit au fil du temps, mais qui reste toujours marqué. Tout âge confondu, les hommes se déplacent presque trois fois plus en vélo que les femmes. Cela se couple à une question plus large de la socialisation différenciée à l’espace public : les jeunes filles sont souvent incitées à ne pas investir l’espace extérieur, pensé pour elles comme une menace. Elles ne s’approprient donc pas cet espace dans une optique d’y faire du vélo. 

Le vélo est aussi un objet genré, que ça soit par sa forme ou ses représentations de modèles féminin, ce qui alimente les inégalités : les types de vélo dits “de fille” ou “de garçon” vers lesquels les enfants sont incités à se tourner tend à restreindre les possibilités de pratiques des jeunes filles (vélos utilitaires, valorisant moins la vitesse, davantage la sécurité et la propreté, confortant l’idée d’une fonction maternelle). Outre l’âge de l’adolescence, âge clé de l’apprentissage et de la pratique du vélo, voire d’un “décrochage” des adolescentes, la maternité peut être un facteur de frein à l’usage du vélo. En effet, on observe un décrochage de la pratique chez les jeunes mères à la naissance du premier enfant, encore plus prononcé à la deuxième naissance.

Comme les piétonnes, les femmes cyclistes ne sont pas épargnées par le harcèlement de rue. Justement parce qu’elles se saisissent d’une pratique identifiée comme masculine, elles peuvent essuyer insultes et commentaires déplacés lorsqu’elles sont sur leur vélo. Malgré le fait qu’elles font déjà plus attention à leurs tenues lorsqu’elles pratiquent le vélo car celles sont aussi un frein. Porter des talons, être bien coiffées, ou être en jupe, certaines habitudes vestimentaires peuvent compliquer la pratique du vélo au quotidien, notamment pour aller au travail. La culture du harcèlement, même à vélo, est bien ancrée dans l’histoire française. Il suffit de regarder les publicités des années 50-60 pour voir une représentation sexualisée de la femme à vélo ou d’écouter Yves Montand dans sa chanson À bicyclette. Paulette, 8 ans se fait déjà suivre par des garçons à bicyclette, tous « amoureux » d’elle. Elle qui voulait simplement s’amuser à vélo, elle est devenue vedette d’une chanson chantée par un agresseur.

Le « sexe » du vélo, c’est aussi la virilité de la chute, du risque, de la performance. Une passion que les hommes payent au prix fort : ils représentent 83 % des morts au Canada (2019), 72 % en Belgique (2017) et 86 % en France, notamment chez les livreurs à vélo, un nouveau et dangereux métier « d’homme ».

Pour diminuer son empreinte carbone, il est recommandé de faire du vélo. Mais cette recommandation n’est encore pas une fois la même mise en œuvre pour tout le monde, la réalité genrée de l’espace et la société patriarcale étant toujours omniprésente. Pour réduire cette inégalité de pratique et finalement privation d’une certaine liberté, il faudrait recommander : « faites tomber le patriarcat en vélo pour réduire votre empreinte carbone ».

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