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La politique est (aussi) dans le pré

C’est peut-être bien dans les conseils municipaux, dans les petites salles des fêtes communales et les réunions de quartier, que se mène aujourd’hui l’un des combats les plus fondamentaux pour l’égalité : celui de la légitimité à être là, à décider, à gouverner.

Léa Chamboncel

26 mars

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La politique est (aussi) dans le pré

C’est peut-être bien dans les conseils municipaux, dans les petites salles des fêtes communales et les réunions de quartier, que se mène aujourd’hui l’un des combats les plus fondamentaux pour l’égalité : celui de la légitimité à être là, à décider, à gouverner.

Léa Chamboncel

26 mars

Lorsque j’ai écrit mon premier ouvrage sur la place des femmes en politique, j’ai eu l’opportunité d’interviewer Edith Cresson. À l’époque elle détenait encore le titre de seule femme à avoir été première ministre en France. Lors de notre entretien, nous avons parlé ensemble du sexisme en politique, elle est aussi longuement revenue sur l’horrible traitement médiatique qui lui a été réservé pendant son passage à Matignon et elle m’a confié une chose qui m’a surprise. Quand je lui ai demandé, à elle qui avait été à la tête du gouvernement de l’un des pays considéré comme “important” sur la scène internationale, à quel moment elle avait eu le sentiment d’avoir eu du pouvoir, elle m’a répondu : jamais. Puis, après quelques secondes de réflexion, elle est revenue sur ce “jamais” pour préciser son propos “En fait si, une fois : lorsque j’étais élue locale”. 

“Élues locales”, cette expression qui désigne les femmes qui occupent des responsabilités politiques au niveau des communes, des régions, des départements, ou encore dans les intercommunalités. Elles ne sont pas nécessairement présentes dans des territoires ruraux, mais c’est d’elles dont j’aimerais vous parler dans cet article. Edith Cresson était elle élue locale dans un territoire rural puisqu’elle était maire de Thuré, une commune du Centre ouest de la France située dans la Vienne. 
En 2022, les femmes représentaient 41,5 % de l’ensemble des élu·es locaux·ales. Une progression lente mais continue, qui masque encore d’importants déséquilibres dès qu’on regarde dans le détail. Elles sont par exemple seulement 19,8 % à occuper la fonction de maire, un chiffre en hausse par rapport à 2014 (16,1 %), mais qui reste désespérément bas. Plus on monte dans la hiérarchie, plus la place des femmes se réduit : elles sont à peine 11,8 % à présider une intercommunalité, contre près de 88 % d’hommes à ces postes. On retrouve ce déséquilibre aussi dans la répartition des adjoint·es : elles représentent 33 % des premier·es adjoint·es, 42 % des deuxièmes, et 45 % des autres. Les chiffres le montrent bien : les femmes sont là, mais pas encore tout à fait là où se prennent les décisions les plus structurantes. 

Dans les communes de 1 000 habitant·es ou plus, où la parité est imposée par la loi, la proportion de femmes conseillères municipales est de 49 %. En revanche, dans les communes de moins de 1 000 habitant·es, non soumises à cette obligation, elle est de 38 %. Pour remédier à cela, il a été nécessaire de faire évoluer la loi, non sans difficulté comme vous pouvez l’imaginer. C’est grâce à un texte adopté en avril 2025 (oui, ce n’est pas une faute de frappe) que la parité s’appliquera aussi dans les communes de moins de 1000 habitant·es pour les prochaines élections municipales de 2026. Côté LR et RN, certains parlementaires ont mis en avant leur “crainte” de voir leurs partis rencontrer des difficultés à constituer des listes faute de pouvoir trouver des candidates… Lorsque les femmes ne sont pas “compétentes” pour occuper des fonctions politiques, argument préféré des sexistes - pardon je voulais dire opposants à la parité -, elles tout simplement “pas là”. Intéressant comme argument, notamment lorsque l’on sait que les femmes représentent 51,6 % de la population en France. 

Et des femmes, il en faut, surtout des féministes pour porter des mesures ambitieuses afin, entre autres, de lutter contre les violences sexuelles et sexistes en milieu rural. Une urgence quand l’on sait que 47% des féminicides sont commis dans des zones rurales. Alors n’en déplaise aux fâchés et fâcheux : oui, il faut renforcer la parité. 

Il est assez évident que tout ne sera pas réglé, même avec une nouvelle loi sur la parité. Il y aura certes plus de femmes, mais elles continueront : à être victimes de sexisme dans les instances politiques, à occuper des postes “moins importants”, à s’occuper des délégations considérées comme “féminines” (petite enfance, éducation, etc.), à se faire harceler, etc. Loin de moi l’idée de vous décourager, il en faut des femmes - surtout des féministes - en politique au niveau local, mais il est important aussi de dépeindre la réalité d’une fonction qui peut s’avérer difficile et violente, surtout pour les femmes. En effet, les femmes élues souffrent davantage d’épuisement que les hommes élus comme le relève l’étude de l’observatoire Amarok sur le burn out des maires.   

Mais s’il y a bien une chose que ces femmes élues locales incarnent, c’est une autre manière de faire de la politique. Une politique de proximité, plus concrète, souvent plus à l’écoute, et pourtant encore trop peu valorisée. Elles s’imposent dans des espaces qui, malgré la loi, malgré les chiffres en hausse, restent traversés par les mêmes réflexes de domination. Alors, à défaut d’un grand soir féministe dans les palais de la République, c’est peut-être bien dans les conseils municipaux, dans les petites salles des fêtes communales et les réunions de quartier, que se mène aujourd’hui l’un des combats les plus fondamentaux pour l’égalité : celui de la légitimité à être là, à décider, à gouverner. Et celui-là, il commence peut-être par un mandat d’élue locale comme l’a suggéré Edith Cresson ? 

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