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Le Caring State, avenir de nos démocraties ?

Un État du care, et pourquoi ne pas y croire ? Pourquoi ne pas s’autoriser à rêver d’une autre forme d’organisation politique où le pouvoir ne serait plus synonyme de domination et où les institutions seraient au service du bien-être collectif ?

Léa Chamboncel

05 juin

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Le Caring State, avenir de nos démocraties ?

Un État du care, et pourquoi ne pas y croire ? Pourquoi ne pas s’autoriser à rêver d’une autre forme d’organisation politique où le pouvoir ne serait plus synonyme de domination et où les institutions seraient au service du bien-être collectif ?

Léa Chamboncel

05 juin

Pour celles et ceux qui suivent mes travaux depuis un certain temps, vous connaissez déjà mon appétence pour les récits alternatifs et vous avez peut-être lu “Au revoir Simone !”. Aussi, vous ne serez pas surpris·es de me voir à nouveau disserter sur l’importance de déconstruire notre rapport au pouvoir afin d’imaginer une autre façon de faire société. Et lorsque j’ai effectué les recherches pour la rédaction de cet essai-fiction, je suis tombée sur le Care Manifesto. Un ouvrage collectif où les autrices et auteurs explorent, entre autres, le concept de “Caring State”

Le Caring State y est décrit comme “Un État du care n’est pas un État vertical, hiérarchique, disciplinaire ou coercitif, mais facilite plutôt ce que Davina Cooper appelle “la tendance créative, horizontale et écologique du présent et du futur”. Un État du care œuvre nécessairement dans le sens de la justice sociale plutôt que de la justice pénale, tire les leçons du féminisme abolitionniste pour construire des communautés solidaires plutôt que des systèmes d’incarcération privatisés. Il encourage également de manière imaginative les “usages et espaces communs” en fournissant des institutions et des ressources ouvertes qui peuvent être supervisées par les citoyens à travers des processus démocratiques participatifs, tels que les assemblées de citoyens. En bref, l’État du care garantit les ressources nécessaires à la promiscuité des soins tout en permettant aux communautés de s’épanouir.” (The Care Collective, Care Manifesto: The Politics of Interdependence, Verso Books, 2020, p. 50). 

C’est tentant, n’est-ce pas ? 

Un État du care, et pourquoi ne pas y croire ? Pourquoi ne pas s’autoriser à rêver d’une autre forme d’organisation politique où le pouvoir ne serait plus synonyme de domination et où les institutions seraient au service du bien-être collectif ?

Car rêver d’un Caring State ce n’est pas seulement rêver d’une version améliorée de l’État providence. C’est une critique radicale,  et profondément féministe, du modèle politique dominant, qui valorise la performance, la verticalité, la rationalité froide et les logiques de profit. 

C’est prendre au sérieux ce que les féministes disent depuis longtemps : la vie ne tient pas debout sans soin. Sans soin apporté aux enfants, aux malades, aux personnes âgées, à celles et ceux qui n’entrent pas dans les cases de la productivité normative. Sans soin porté aux liens, à la démocratie, au vivant. 

Le Care Manifesto nous le rappelle : nous vivons dans un monde structuré par l’interdépendance, et non pas par l’individualisme et l’isolement. Nous avons besoin des un·es et des autres pour vivre c’est un fait biologique, social et politique. Pourtant, notre organisation collective continue de déléguer le soin à la sphère privée, aux femmes, aux plus précaires, aux personnes racisé·es. Ce n’est pas un oubli : c’est une violence systémique. 

Penser un Caring State, c’est politiser le care d’un point de vue collectif. C’est affirmer que le soin est une responsabilité que nous partageons tout·es pour tout·es. Ce n’est pas une charge individuelle visant qui vise à promouvoir le développement personnel. C’est proposer que l’État investisse massivement dans ce qui permet à une société de tenir : crèches, hôpitaux, services publics de proximité, accompagnement à la parentalité, prise en charge du grand âge, protection de l’environnement, etc. 

C’est aussi sortir du piège du care sacrificiel. Le féminisme du care ne dit pas que les femmes doivent s’occuper de tout le monde, il dit que la société toute entière doit se réorganiser pour partager, reconnaître et valoriser ces tâches de reproduction. Il appelle à sortir de l’essentialisation et des stéréotypes genrés pour construire une politique de la sollicitude, de l’attention et de la coopération. 

Dans un monde où les crises se multiplient et où nos conquis démocratiques et sociaux sont menacés en permanence, rêver d’un Caring State est une utopie nécessaire. C’est un projet exigeant, révolutionnaire et ancré dans la réalité des luttes féministes. 

Et si ce modèle suscite encore des ricanements dans les sphères de pouvoir, c’est peut-être justement parce qu’il bouscule l’ordre établi : celui qui fait de la domination un mode de gouvernance, et de l’indifférence un principe politique. 

Alors oui, rêvons. Mais organisons-nous aussi pour faire advenir un État du soin, un État féministe, un État du vivant ! 

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