En cette rentrée littéraire, la question de la solitude féminine revient sur le devant de la scène. Il y a bien sûr Enfin seule de Lauren Bastide publié aux Editions Allary, mais aussi un grand retour de la femme sans enfant avec Elles vont finir seules avec leur chat de Charlotte Debest, entres autres. Ce n’est pas la première fois que la célibataire pointe le bout de son nez, dans le grand chambardement de la fameuse révolution amoureuse, sa petite silhouette revient souvent, image longtemps repoussoir devenue soudain désirable… A la seule et unique condition qu’elle ne s’incarne qu’en une seule version : celle de la femme heureuse, dégourdie, sexuellement active, entourée d’une ribambelle d’ami.es, créative, prosélyte… Ou comment le stéréotype remplace le stéréotype, fut-il bien plus sexy et facile à endosser.
Le discours sur le célibat positif qui se déploie ces dernières années se nourrit de la ringardisation de la matrimonialité, de l’entrée fracassante des femmes sur le marché du travail et de la déflagration metoo et le fameux hétérofatalisme qui voit les femmes renoncer (dans une certaine mesure) au couple. Il n’est donc pas si rare dans les milieux féministes éditoriaux de voir des jeunes femmes s’emparer de l’image de la vieille fille, alors même qu’elles sont en couple ou désireuse de l’être mais d’une manière revampée, plus fun, plus iconoclaste bien sûr. Il est évident que cette dimension enviable du célibat n’est pas seulement une mode, ni une pose, et que dans l’inconfort étroit d’un lien assigné, hétérosexuel, certaines femmes aspirent à autre chose. La liberté et la sécurité que suggère le célibat devient alors quelque chose de puissamment désirable.
Mais ce que cela signifie que de vivre seule, vraiment seule. De la différence que ça fait d’être seule à 25 ans ou à 60, de l’être à Paris ou dans la banlieue de Limoges, de l’être quand tous vos am·eis sont déjà marié·es, de l’être parce que vous n’avez pas les moyens géographiques et financiers de ne plus l’être, de ces vies-là, quel que soit leur terreau, on continue de pas savoir grand chose.
La question s’embourbe alors dans des considérations lifestyle à la limite de l’indigence. Dans les articles et le podcast consacrés au sujet, la célibataire aspire à vivre au calme, à n’« avoir de compte à rendre à personne », de « faire ce qui lui plaît » etc. Dans un article du ELLE de septembre 2023 consacré à la hausse du nombre de femmes qui déclarent ne pas vouloir d’enfant, l’aspirante nullipare (le panel portait sur des femmes de 19 à 40 ans, on peut légitimement en déduire que nombre d’entre elles auront la possibilité et le droit de changer d’avis) apparaît comme une femme carriériste, qui aime faire la fête, voyager et, surtout, qui supporte assez mal de sacrifier ses heures de sommeil. Nous sommes suffisamment familière des stratégies dialectiques que les femmes seules et sans enfants doivent déployer pour contrer la pression qui pèse sur elle, plus ou moins passive, plus ou moins agressive, pour savoir ce qui pousse une femme à parler de ses grasses matinées et de la joie de pouvoir prendre un billet pour le Caire sur un coup de tête. Cet argument-là est plus inoffensif que celui consistant à faire remarquer qu’après des siècles de lutte, le féminisme n’arrive toujours pas à faire émerger de nouveaux modèles.





