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Mobilisations anti-gouvernementales : les femmes en première ligne

Le genre constitue un prisme essentiel pour comprendre la résistance dans les mobilisations anti-gouvernementales aux quatre coins du monde

Illustration de Clothilde Le Coz

Clothilde Le Coz

08 avr.

a large group of people holding up signs
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Mobilisations anti-gouvernementales : les femmes en première ligne

Le genre constitue un prisme essentiel pour comprendre la résistance dans les mobilisations anti-gouvernementales aux quatre coins du monde

Illustration de Clothilde Le Coz

Clothilde Le Coz

08 avr.

Depuis le début de l’année, au moins 45 mouvements de protestation ont éclaté dans le monde. L’Europe est particulièrement touchée par les manifestations liées aux conditions économiques et aux droits politiques, reflétant une érosion démocratique et le durcissement autocratique dont on vous parlait déjà fin 2023.

En 3 mois, les agriculteurices se sont déjà mobilisé·es dans 10 pays (Espagne, Roumanie, Pologne, France, Belgique, Slovaquie, Malte, Italie, Grèce ou encore la République tchèque). La Hongrie a également vu l’un des mouvements les plus importants de ce début d’année avec plus de 50 000 personnes rassemblées causant notamment la démission de Katalin Novak, la présidente hongroise, de la ministre de la justice du gouvernement Orban Judit Varga et du chef de l’église protestante hongroise.  La raison ? Le directeur adjoint d'un orphelinat public qui avait été emprisonné pour avoir couvert une série d'agressions sexuelles sur des enfants a été gracié l'année dernière, mais la nouvelle n'a été connue que début février. Ce mouvement a été créé et conduit par une douzaine d’influenceureuses, demandant expressément aux mouvements politiques de rester en dehors de la manifestation car, selon certains témoignages recueillis sur place “le gouvernement devrait cesser de penser que tout est permis”. Résultat : Viktor Orban a proposé d’amender la constitution pour aller dans le sens des revendications populaires.

“Crise du leadership moral” 

Pour Mandeep Tiwana, l’un des auteurices du rapport 2024 publié par Civicus[i] sur l’état de la société civile dans le monde, “les attaques contre la société civile étaient la norme en 2023, même de la part de gouvernements qui prétendent adhérer aux valeurs démocratiques. La prévalence de ces abus prouve que le système international a désespérément besoin d'être réformé. Nous sommes confrontés à une crise aiguë du leadership moral sur la scène internationale”.

Selon le rapport de cette alliance mondiale d'organisations de la société civile et de militant·es, la société civile est descendue dans la rue pour protester là où des dirigeants démocratiquement élus ont ignoré les règles constitutionnelles et ont cherché à passer outre les mécanismes de contrôle, en plus de ses rôles habituels d'éducation des électeurices et de surveillance de l'intégrité des élections. C'est ce qui s'est passé tout au long de l'année 2023 au Mexique par exemple lors des “marches pour la Démocratie”, où la population s’est mobilisée contre les attaques du gouvernement à l’encontre de l'Institut national électoral, pour l'indépendance du pouvoir judiciaire et des organes autonomes, et contre l'influence indue du président sur la sur la compétition électorale.

En Europe, plusieurs élections ont donné lieu à des résultats troublants, y compris dans des pays où les principes démocratiques et les libertés civiques fondamentales sont historiquement globalement respectés. Les électeurices ont souvent rejeté les candidat·es sortant·es et un ensemble de partis et d'hommes politiques, exprimant ainsi leur déception à l'égard de ce que la démocratie leur a offert jusqu'à présent. En cette période de forte inflation, les idées présentées comme “neuves”, radicales et anti-élites ont le vent en poupe. Ainsi, ces cinq derniers mois, les populistes de droite sont arrivés en tête des élections aux Pays-Bas, en Suisse et sont entré·es au gouvernement en Finlande, même si cette menace n'a pas réussi à s'imposer en Espagne ou en Pologne.

Le genre : un prisme essentiel pour comprendre la résistance

Une nouvelle étude de l’institut américain Carnegie - qui a créé un “tracker” des manifs montre que le prisme du genre est essentiel pour comprendre la résistance populaire contre l'érosion démocratique et le durcissement autocratique dans le monde entier. 

D’abord parce que les femmes ont mené des manifestations dans la rue contre les dirigeants et les politiques antidémocratiques, souvent de manière plus visible que les hommes et aussi car elles sont le fer de lance d'initiatives populaires visant à faire échouer les gouvernements autocratiques dans les urnes. Par exemple, au Bélarus, ce sont les femmes ont été à l'origine du plus grand mouvement de protestation de l'histoire du pays en 2020, dans un pays où le régime réprime durement toute dissidence. 

D’après le Carnegie, ces femmes impliquées dans les actions anti-autoritaires contemporaines ne sont pas nécessairement des militantes traditionnelles de la démocratie, des membres de partis d'opposition ou des militantes féministes. En Birmanie, par exemple, ce sont des femmes de la classe ouvrière, des femmes rurales et des femmes fonctionnaires qui sont descendues dans la rue pour protester contre le coup d'État militaire de 2021 - un groupe plus diversifié que celui qui avait été impliqué dans la défense des intérêts politiques lors de l'ouverture démocratique du pays.

Pour les chercheuses Saskia Brechenmacher, Erin Jones et Özge Zihnioğlu du Carnegie, des femmes n'ayant jamais milité auparavant se sont senties obligées de protéger les conquis politiques et sociaux du passé au Brésil, aux États-Unis et dans d'autres pays où des dirigeants illibéraux ont ouvertement embrassé la misogynie ou préconisé des politiques conservatrices en matière de genre. En rendant plus palpables les risques d'érosion démocratique, les attaques de ces dirigeants contre l'égalité des sexes ont incité un large éventail de femmes à s'engager dans une mobilisation anti gouvernementale. Elles ont également poussé les groupes de défense des droits des femmes à nouer des liens plus étroits avec des campagnes plus larges en faveur du renouveau démocratique.

Même dans les pays où les dirigeants ont fait un appel superficiel aux droits des femmes, comme l'a fait le président Modi en Inde, certaines femmes - en particulier issues de groupes marginalisés - se sont mobilisées contre la montée de l'autoritarisme, qu'elles considèrent comme une menace directe pour la sécurité, l'autonomie corporelle et l'inclusion des femmes.

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