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À jamais les premières ! 

Marseille est une pionnière des luttes écologiques. Qui se souvient de la lutte menée en 1910 pour protéger la calanque de Port-Miou, contre une industrie destructrice ? C'est la première fois en France que des citoyen·nes se mobilisent contre un projet industriel pour protéger un environnement naturel.

Illustration d'Amandine Richaud Crambes

Amandine Richaud-Crambes

18 févr.

aerial view of body of water during daytime
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À jamais les premières ! 

Marseille est une pionnière des luttes écologiques. Qui se souvient de la lutte menée en 1910 pour protéger la calanque de Port-Miou, contre une industrie destructrice ? C'est la première fois en France que des citoyen·nes se mobilisent contre un projet industriel pour protéger un environnement naturel.

Illustration d'Amandine Richaud Crambes

Amandine Richaud-Crambes

18 févr.

Marseille, tu l’aimes ou tu la détestes, il n’y a pas de position intermédiaire. Marseille est sauvage, atypique, bordélique, unique, indomptable. Marseille est historique, pionnière, multiculturelle, sociale. Même si elle a aussi une réputation d’insoumise et de violence, de guerre de la drogue, berceau de la French Connection ou encore d’une forte corruption. Marseille c’est un imaginaire, issue d’une histoire antique et méditerranéenne insolite. Marseille et la méditerrannée sont aussi des territoires fragiles et vulnérables, notamment au sur le plan environnemental. Considérée comme la ville la plus ancienne de France, la cité phocéenne de 26 siècles, s’est construite sur la côte méditerranéenne. Elle fut toujours une ville en extension par le commerce et la migration, au milieu d’une verdure sèche et gigantesque, d’une biodiversité riche et endémique. Il est donc très important de composer entre l’urbain et l’environnement, la mer d’un côté, la pinède et la garrigue de l’autre. 

Une mauvaise réputation colle à la peau de la cité du Sud sur l’écologie : la ville est sale, elle est insalubre, les rats et les gabians prospèrent, les industries polluantes de l’étang de Berre étouffent, la plage du Prado s’appelle “épluchure beach” ou encore la pollution de l’air entre le port autonome et l’aéroport de Marignane touchent la santé des marseillais·es. En gros, la protection de l’environnement et l’écologie, on pense qu’à Marseille c’est réné. Ce n’est pas faux, mais ce n’est pas complètement vrai. 

En effet, Marseille est une pionnière des luttes écologiques. Qui se souvient de la lutte menée en 1910 pour protéger la calanque de Port-Miou, contre une industrie destructrice ? La Société des excursionnistes de Marseille protesta vivement contre le projet d'exploitation du sable et de la chaux de la calanque de Port-Miou par la société chimique belge Solvay. C'est la première fois en France que des citoyen·nes se mobilisent contre un projet industriel pour protéger un environnement naturel. La lutte qui sera menée pendant des décennies avec en 1992 des manifestations d’habitant·es qui s'opposent à une tentative d'urbaniser les Calanques réclamant de protéger ce massif, ce qui interviendra enfin en 2013 avec la création du le Parc National des Calanques ; ou encore le combat contre le déversement des boues rouges, poison écologique, qui sera interdit totalement en 2023 après 40 ans de contestations.

Créée en 1912 par des ornithologues de la Société d'acclimatation, celle-ci se voit confier par des saliniers en 1927 toute la partie centrale de la Camargue afin d'en étudier et d'en protéger la faune et la flore. Le début du XXe siècle voit également apparaître de premières actions pour la défense de la nature initiées par la société civile. En 1906, le député Charles Beauquier fait voter la première loi de protection de l'environnement, qui préfigure celle de 1930. La mer Méditerranée est l’un des 10 “hotspots” de biodiversité de la planète. Elle abrite environ 10 % des espèces répertoriées mondialement alors qu’elle ne représente qu’1 % de la surface globale des océans. Elle comprend des habitats remarquables (les fameux herbiers de posidonie, fonds coralligènes, grottes, canyons, etc.) accueillant plus de 17 000 espèces comme le grand dauphin, la tortue caouanne, la grande nacre ou le corb. Afin de préserver ce patrimoine exceptionnel, 30 aires marines protégées ont été créées. Elles occupent et couvrent l’ensemble de la façade littorale de la Région Sud. L’archipel de Riou couvre près de 160 hectares sur les eaux face au massif des Calanques. Il se compose de plusieurs îles, dont la plupart sont interdites aux humain·es ; c'est le seul archipel protéger ainsi en France. Enfin, l’université de Marseille a accueilli dès 1994 le premier cursus d’ingénierie université professionnelle dédié à la protection de l’environnement (IUP Dentes, mon diplôme bébé).

 Néanmoins, il ne faut pas croire que ces avancées et même grandes premières sont issues d’une politique écologiste forte de la part des dirigeants marseillais. Même si, à ma grande surprise, j’ai découvert récemment que Gaston Defferre (maire de 1953 jusqu'à sa mort en 1986) avait dès 1977 créé une délégation écologique ambitieuse et encore d’actualité (source INA) !  Tout d’abord, il y a le climat méditerranéen qui est le premier acteur à cause de sa vulnérabilité. Comme le définit Météo France, le climat méditerranéen (en termes géographiques) est caractérisé par des hivers doux et des étés chauds, un ensoleillement important et des vents violents fréquents. On observe peu de jours de pluie, irrégulièrement répartis sur l'année. À des hivers et étés secs succèdent des printemps et automnes très arrosés, souvent sous forme d'orages (40 % du total annuel en 3 mois). Ces précipitations peuvent apporter en quelques heures 4 fois plus d'eau que la moyenne mensuelle en un lieu donné, notamment à proximité du relief (épisode méditerranéen). Les aléas naturels sont donc très présents : sécheresse, incendies estivaux, inondations, raréfaction des ressources en eau, activité sismique, érosion et recul du trait de côte, tornade, canicule. Le changement climatique ne fait malheureusement qu’augmenter la fréquence et l’intensité de ces évènements et met en danger la population ou la biodiversité dû à des nouvelles espèces animales invasives aimant les climats chauds et vecteurs de maladies. Dans la région, depuis le début du XXe siècle, la température moyenne a augmenté de 2,1º, soit 20 % de plus que la moyenne nationale, souligne Philippe Rossello, coordinateur du Grec-Sud, l’antenne régionale du Giec.  

Outre le vecteur géographique et climatique, c’est grâce à la population et à son système démocratique particulier que Marseille s’est engagée dans la lutte pour la protection de l’environnement. La cité phocéenne a un des tissus associatifs les plus importants et actifs de France. Il est sociologiquement reconnu que le monde associatif est souvent une alternative pour pallier aux défaillances d'une politique publique globale inexistante. Ce qui fut le cas pendant des décennies grâce à la politique clientéliste de Jean-Claude Gaudin (1995-2020), sous dégoût des populations précaires et son absence totale de sensibilité écologique. Il existe donc près de 20 000 associations à Marseille dont 362 ont pour objet la protection de l’environnement. Pour nombreuses d’entre elles, ce sont des femmes qui sont à l’origine de leur création et majoritaires dans leur fonctionnement. Il existe un attachement fort à l’identité de marseillaise. L’adage local quand on pose la question “tu es de quelle nationalité ?”, la réponse est “marseillaise”. Et oui, ici, on est plus marseillais·es que français·es. D’où l’appropriation forte à la protection de la ville et de ses espaces, ses parcs, sa nature. La femme marseillaise protège son environnement comme elle protège son foyer et sa famille. Comme l’écrit Fawzia Zouari dès 2001, il faut un féminisme méditerranéen parce que “les femmes méditerranéennes ont la faculté de revenir aux sources, de porter la marque d’un monde et de conjuguer la différence, d’assimiler les influences, il y a place pour un féminisme méditerranéen dans lequel convergent deux visions du monde, de la différence et du droit, de la souveraineté et de la démocratie, de la loi et de la civilité.” Assumer la Méditerranée c’est aussi reconnaître et valoriser l’apport de l’Autre, en faire une source d’inspiration, un modèle, s’il le faut, que ça soit sur le plan écologique comme sur le plan féministe. Quant à Ruth Zylberman, dans son documentaire Méditerranéennes : La force des femmes (2013)”, elle montre que les femmes qui habitent la Méditerranée occupent, sur chacune de ses rives, une place tout à fait centrale, quelle que soit leur situation géographique particulière. Grâce à elles, le vivre ensemble est possible et les valeurs se transmettent de génération en génération. Combattantes pacifiques pour la plupart, elles portent haut les valeurs de la démocratie, du partage et de la liberté. De Tunis à Haïfa en passant par la cité phocéenne, Marseille, le documentaire suit les pas de ces militantes du quotidien, conviant à un voyage singulier où se joue l’avenir de la Méditerranée et de son environnement. 

Il existe des mythes fondateurs de Massilia. Le plus connu, le mariage de Gyptis, princesse gauloise, à Protis, un navigateur grec de Phocée. En cadeau de mariage, le père de Gyptis, Nannus, offrit à sa fille un bout de terre pour fonder une ville et c’est elle qui donna naissance à Marseille à partir du Lacydon (le Panier, mon tiequar ma foi). L’autre mythe, moins connu, raconte que les Phocéen·es prirent la fuite suite à l’invasion perse. La déesse Artémis apparut en rêve à Aristarché, femme très estimée de la région, qui suivit les indications de navigation celle-ci et arriva au Lacydon où iels s’installèrent et fondèrent Massilia en construisant en premier lieu un temple en l’honneur de d’Artémis. 

Deux femmes sont donc à l’origine de la fondation de Marseille, on ne peut que prédire que ce seront les femmes marseillaises qui continueront à protéger la cité, notamment du changement climatique, grâce à un écoféminisme méditerranéen. En bande organisée, personne peut nous canaliser.

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