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Du cybermilitantisme à la cyberpollution 

Si le numérique favorise l’explosion de contenus écologistes, le plus important réside dans la facilité de leur dissémination. Les réseaux sociaux ont ouvert une nouvelle ère, celle de l’activisme social, féministe et environnemental.

Illustration d'Amandine Richaud Crambes

Amandine Richaud-Crambes

17 mars

person holding black phone
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Du cybermilitantisme à la cyberpollution 

Si le numérique favorise l’explosion de contenus écologistes, le plus important réside dans la facilité de leur dissémination. Les réseaux sociaux ont ouvert une nouvelle ère, celle de l’activisme social, féministe et environnemental.

Illustration d'Amandine Richaud Crambes

Amandine Richaud-Crambes

17 mars

L’histoire des luttes environnementales n’est pas aussi récente qu’on ne le pense. Les premières recensées datent de la fin du 19ème siècle. Mais leurs existences n’étaient connues seulement des historien·nes ou des spécialistes de l’environnement. De même, les luttes pour la protection de la nature ou contre les pollutions sont présentes aux quatre coins du globe, même dans les zones les plus reculées. Mais là encore, leurs mises en lumière sont assez récentes et se limitent aux médias traditionnels comme la presse, la radio et surtout la télévision. 

Cependant, plus que la mondialisation, c’est internet qui a permis de changer la donne, et plus particulièrement depuis la moitié des années 2000 avec la massification de l’utilisation du web dans les foyers du monde entier. Cette accélération de la diffusion a encore progressé avec l’émergence des réseaux sociaux. En effet, Internet a rendu possible le partage d’information hors des organes de presse ou de la communication étatique, notamment entre les associations, les ONG, les militant·es écologistes ou tout simplement des peuples en général. Le filtre de la censure n’existe plus sur ces luttes et les impacts sur les populations qui ont souvent été silenciés, cachés par les États ou les industries. Il y a alors la production d’un discours contre-hégémonique diffusé sans intermédiaire. Les dispositifs de communication numérique servent de scène d’apparition aux acteurices qui assurent la visibilité de leur cause, telle qu’iels souhaitent la présenter. L’échange politique sur la toile se caractérise en effet par une transformation des règles de l’accès à l’espace public qui fait que la production de contenus n’est plus réservée à certaines catégories d’acteurices, à l’instar des journalistes, mais est désormais ouverte à toustes.

On parle alors de “médiactivisme” ou de cybermilitantisme qui correspond à l’utilisation des capacités du numérique comme la diffusion rapide d’informations, l’organisation de mouvements liés à une idéologie ou des faits, le bénéfice de failles de sécurités pour toucher la présence en ligne d’institutions.

Internet a donc aussi permis une nouvelle forme de mobilisation et d’organisation des militant·es dans leurs luttes. Tout d’abord par des forums qui étaient à l’époque les principaux vecteurs, mais l’émergence des réseaux sociaux a accéléré cette mutation de l’organisation et la gouvernance. Grâce aux groupes Facebook par exemple, des mobilisations se sont organisées autour de ZAD ou de manifestations. Les problèmes environnementaux sont diffusés de personne à personne en direct, malgré l’éloignement, souvent autour d’un hashtag ou d’une topic trend.  Alors, en donnant du poids politique au “bruit” qui entoure les controverses, Internet transforme les mobilisations citoyennes et devient un nouvel indicateur de mobilisation et d’engagement. Le fonctionnement traditionnel de la démocratie est mis à l’épreuve. Les logiques d’agrégation par le vote et la représentation perdent une partie de leur influence au profit de nouvelles formes de regroupements, plus affinitaires, qui cherchent à peser dans le débat depuis les marges. Dans cette perspective, les mouvements environnementaux ont l’opportunité d’être directement représentés dans l’espace public et de venir influencer l’opinion sur certains sujets.

Si le numérique favorise l’explosion de contenus écologistes, le plus important réside dans la facilité de leur dissémination. Les réseaux sociaux ont ouvert une nouvelle ère, celle de l’activisme social, féministe et environnemental. La diffusion d’informations brutes, du terrain et sans intermédiaire, a fait exploser des mouvements sociaux à travers le monde. Plus récemment, #MeToo, Black Lives Matter et Occupy Wall Street sont les descendants directs de ce que le Printemps Arabe a lancé : un cyber-militantisme porté par toustes. Dans tous ces mouvements, le numérique a facilité la sensibilisation à l’échelle mondiale de l’opinion publique. L’implication s’est alors vue multipliée et les pressions sur les États se font intensifiées. Les réseaux sociaux sont devenus un outil de lutte puissant pour chaque citoyen·ne. C’est ce que l’on a pu observer également pour les marches climat à travers le monde, touchant particulièrement les jeunes natifs numériques.

D’ailleurs, si l’on prend l’exemple précis de l’écoféminisme, on voit que les mêmes systèmes ont été à l’œuvre. Mis sous les lumières des projecteurs par Sandrine Rousseau lors des primaires écologistes de 2021, le terme écoféminisme a suivi le même parcours. Une confidentialité autour du concept gardé par les initiées ou les chercheureuses, la percée dans les médias et notamment sur les réseaux sociaux qui a insufflé une nouvelle appropriation. Le grand public féministe avait-il connaissance de Rachel Carson ou de Françoise d’Eaubonne avant la diffusion sur internet ? Pas sûr. Ce sont les comptes Instagram des féministes qui ont permis la redécouverte de la philosophie et la diffusion du message ainsi que la curiosité de la découverte qui l’entoure. Rappelons qu’Instagram a été un vecteur du renouveau féministe impressionnant, touchant toutes les couches de la population, même les plus éloignées des droits des femmes+. Les femmes derrière les comptes féministes sont devenues expertes dans l’élaboration de la stratégie éditoriale et dans la dimension communicationnelle du militantisme. Les générations antérieures du féminisme ont certes eu recours aux médias alternatifs (les tracts, la presse militante, puis le cinéma et surtout la vidéo), mais elles étaient une poignée à maîtriser l’usage de ces médias à l’inverse d’aujourd’hui.

Cependant, il nous est parfois facile d’oublier que le numérique, à sa base, n’est qu’un simple outil. Ni bon, ni mauvais, c’est l’utilisation que nous en faisons qui lui attribue un statut. Même si grâce à ses objets la connexion permanente à Internet a été facilitée, et donc la diffusion des luttes environnementales ou féministes, ils ne sont pas sans conséquence sur ces deux dernières. Je ne vais pas m’attarder sur le cyberharcèlement qui est traité précédemment mais sur l’impact environnemental considérable du numérique.

Selon une étude conjointe de l’Ademe et de l’Arcom, le numérique représente aujourd’hui 3 à 4 % des émissions de gaz à effet de serre dans le monde et 2,5 % de l’empreinte carbone nationale. Si cette part demeure modeste comparativement à d’autres secteurs, la croissance annuelle de la consommation de numérique (volume de données, terminaux, etc.) doit nous interroger. Selon le pré-rapport de la mission d’information sur l’empreinte environnementale du numérique du Sénat, les émissions en GES du numérique pourrait augmenter de manière significative si rien n’est fait pour en réduire l’empreinte : + 60 % d’ici à 2040, soit 6,7 % des émissions de GES nationales.

Au-delà des gaz à effet de serre et dans un pays où la consommation énergétique est relativement décarboné, il est également nécessaire d’élargir la question de l’empreinte environnementale du numérique à l’ensemble du cycle de vie des réseaux, des équipements et des terminaux en adoptant une approche multicritères (terres rares, eau, énergie primaire…) mais également leur durée de vie et les conditions de leur recyclage. Dans cette problématique, la phase de production des terminaux semble occuper une place toute particulière en ce qu’elle concentrerait 70 % de l’empreinte carbone du numérique en France, selon le même rapport.

Cela représente, pour chaque Français·se : l’équivalent de la consommation électrique d’un radiateur de 1 000W alimenté sans interruption pendant 30 jours ; le même impact environnemental qu’un trajet de 2 259 km parcourus en voiture ; 2,5% de l’empreinte carbone de la France est liée au numérique, c’est un peu plus que le secteur des déchets (2%) ; 20 millions de tonnes de déchets sont produits par an sur l’ensemble du cycle de vie des équipements à l’échelle de la France, soit :  299 kg/habitant·es ; 62,5 millions de tonnes de ressources sont utilisées par an pour produire et utiliser les équipements numériques. 

Lorsqu’on étudie les questions environnementales, il y a un adage qui revient, “la politique du moins pire”. Le numérique et Internet ont permis la globalisation des savoirs et des luttes sur l’écologie, l’écoféminisme et les luttes sociales. Mais son usage a un impact négatif sur ces mêmes luttes. S’il fallait choisir un camp, je choisirais celui du premier, tout en éduquant sur les impacts négatifs et réduisant au possible la nocivité d’Internet, produisant un numérique responsable global.

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