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Elle a fait un bébé toute seule

Sous titre

Illustration d'Amandine Richaud Crambes

Amandine Richaud-Crambes

24 juin

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Elle a fait un bébé toute seule

Sous titre

Illustration d'Amandine Richaud Crambes

Amandine Richaud-Crambes

24 juin

Le paon bleu, oiseau majestueux, déroule sa traîne de plumes pour former une roue imposante. Ce galliforme bien connu est l’exemple des panoplies que sortent les mâles pour séduire ou intimider les femelles. Leurs atouts de beauté sont bien plus connus que ceux des femelles : crinière, couleur, robe, taille, ramage, nageoire, pelage, cri… Plus présents dans l’imaginaire collectif, les mâles du monde animal sont plus couramment identifiables que les femelles. Qui pourrait décrire le plumage de la partenaire du colvert ? Ou la forme de la dulcinée du cerf ? Pourtant, sans ces partenaires de l’ombre, les mâles ne pourraient pas survivre, voir garder leur place dans le système reproductif.

Le monde est stéréotypé sous hégémonie masculine, même si souvent les femelles y dominent et y déterminent la hiérarchie, seules ou en groupe. Le lion, par exemple, est bien loin de l’image du roi de la savane. Les femelles chassent ensemble et sont beaucoup plus actives que les mâles. Elles sont d’ailleurs les premières à déguster leur butin de chasse, leurs restes étant redistribués dans le groupe. Ce sont elles les reines. Les femelles bonobos, représentent l’alliance au féminin par excellence, avec une capacité de coalition si forte qu’elles soumettent les mâles. Lorsque cette alliance s’organise dans un contexte de conflit comme deux femelles combattant deux mâles, les femelles gagnent toujours. Elles s’imposent donc en tant que médiatrices de paix dans leur tribu. Par ailleurs, des recherches supposent que les femelles bonobos sélectionnent des mâles moins agressifs depuis des millénaires. Un moyen qui leur aurait permis de contrôler l’évolution de leur espèce. Chez les abeilles, les femelles sont omniprésentes. La reine des abeilles est la seule femelle fertile de toute la ruche et pendant les mois d’été, elle produit jusqu’à 1500 œufs par jour. La hiérarchie de la ruche et sa survie est organisée autour des abeilles ouvrières, tandis que les mâles ou faux bourdons n’ont qu’une seule tâche : fertiliser les œufs de la reine et une fois cette mission réussie, ils meurent silencieusement. Les groupes d’orques s’organisent autour des femelles qui vivent beaucoup plus longtemps que les mâles et sont responsables de leur progéniture et même de leurs petits-enfants. C’est d’ailleurs l’un des rares animaux ménopausés. Plus elles sont âgées, mieux elles savent où trouver de la nourriture. Quant aux chauves-souris, elles vivent dans des colonies matriarcales. En été, les mères et leurs filles se réunissent dans des maternités rassemblées en colonies, séparées des mâles. Ensemble, les femelles se rendent vers un autre lieu de résidence comme des zones abandonnées de bâtiments, des arbres creux, des grottes, etc. Ainsi, hors de la reproduction, les chauves-souris femelles se passent des mâles. Les exemples ne manquent pas et chez certaines espèces, des adaptations se sont même faites pour se défendre de la domination des mâles. Les hyènes n’acceptent aucune reproduction sans le consentement des femelles ou les canes évitent toute intimité non désirée grâce à leur vagin doté d’un dispositif spécifique en forme de spirale empêchant toute pénétration.

Dans le monde animal, pour l’écrasante majorité des cas, le mâle ne sert donc à rien d’autre qu’au processus reproductif, à féconder la femelle, laquelle prend seule en charge le développement de la progéniture. Si bien que chez certaines espèces, la femelle a pu se passer du mâle et créer des situations de monoparentalité. C’est ce que l’on appelle la parthénogenèse. Ce mode de reproduction est pratiqué par de nombreuses espèces de fleurs, d’insectes, de poissons, de reptiles, chez qui elle peut parfois cohabiter avec la reproduction par fécondation. La parthénogenèse est la division à partir d’un gamète femelle non fécondé. C’est un mode de reproduction monoparental. Cette faculté est complètement normale chez certains insectes comme les abeilles, où un œuf fécondé donnera une femelle et un œuf non fécondé un mâle. Mais on la retrouve aussi chez quelques vertébrés comme les lézards, chez qui les mâles n’existent pas. Les femelles ont évolué de manière à posséder à elles seules tout le matériel génétique nécessaire à la reproduction.

Chez d’autres espèces, cette reproduction sans mâle n’est pas obligatoire mais peut se produire si les circonstances l’obligent. Elle est d’ailleurs de plus en plus fréquente et touche des espèces qui n’avaient jamais eu recours auparavant à la parthénogenèse. Si le phénomène a déjà été observé chez plus de 80 espèces animales, une requin-marteau de l’aquarium de Cala Colone de Sardaigne, a donné naissance à un bébé dans le bassin de deux femelles qui cohabitent depuis une dizaine d’années avec uniquement une femelle. Cela pourrait être le premier cas documenté de parthénogenèse chez cette espèce de requin. Et ce qui est encore plus rare, c’est qu’un mâle a été engendré et non une femelle qui pourtant concerne tous les cas de parthénogenèse chez les requins. En 2006, une femelle dragon de Komodo a eu cinq petits sans jamais avoir été en contact avec un mâle. Aux États-Unis, la première parthénogénèse aviaire a été observée chez deux femelles condors. Dans la plupart des cas, ce phénomène survient lorsqu’il n’y a aucun mâle en présence des femelles. Or ce n’était pas le cas des deux mamans condors : elles vivaient avec des mâles fertiles.

Ainsi, au sein de la nature, quelle que soit l’espèce, la parthénogenèse peut être un dernier recours pour les femelles qui ne peuvent pas trouver de partenaire, du fait du déclin de leur population. Par exemple un déclin dû aux impacts humains, tels que le changement climatique et la surpêche, ou aux pressions de sélection naturelle, telles que la prédation et la maladie. Mais le phénomène se produit chez certains individus qui peuvent basculer entre parthénogenèse et reproduction sexuée selon la disponibilité des partenaires. L’infertilité des mâles peut-être également un déclencheur de la parthénogenèse et risque de s’aggraver à cause du réchauffement climatique. En effet, des scientifiques parlent aujourd’hui d’infertilités thermiques qui pourraient constituer une menace majeure pour la biodiversité. Des rapports démontrent déjà des pertes de fertilité à haute température dans tous les domaines, des porcs aux autruches, en passant par les poissons, les fleurs, les abeilles et même les humains. Les recherches suggèrent qu’il ne s’agit pas de cas isolés, et que peut-être la moitié des espèces seront vulnérables à l’infertilité thermique d’ici 2060. Les résultats révèlent que la fertilité des femelles n’est pas impactée. Cela concerne également les humains. Les vagues de chaleur réduisent la fertilité masculine et la compétitivité des spermatozoïdes, une baisse des naissances s’observe d’ailleurs 9 à 10 mois après les principaux épisodes caniculaires.

Le réchauffement climatique engendre une autre modification du processus de reproduction. Chez certaines espèces, la température détermine le sexe de la progéniture. Les tortues, comme d’autres reptiles, sont extrêmement touchées par le phénomène. A mesure que le réchauffement augmente, plus grande est la probabilité que les tortues naissent femelles. Pire, certaines populations de tortues vertes produisent 99,1 % de femelles et d’ici 2100, cela pourrait concerner l’ensemble des espèces de tortue et donc menacer l’espèce. Chez le bar, le crocodile, le lézard, le brochet ou les mouches, ce changement est le même. Bientôt la parthénogenèse ?

Et si Jean-Jacques Goldman avait prédit dans sa chanson l’avenir des espèces vivantes ? Attention messieurs, la nature n’est jamais loin pour nous rappeler un certain ordre des choses.

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