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Infanticides environnementaux 

Chez les enfants, les conséquences de la pollution atmosphérique sont l’augmentation des naissances prématurées, de l’asthme ou encore, de façon importante, celle des bronchiolites ou cancer du poumon.

Illustration d'Amandine Richaud Crambes

Amandine Richaud-Crambes

25 janv.

white and black ship on sea under white clouds
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Infanticides environnementaux 

Chez les enfants, les conséquences de la pollution atmosphérique sont l’augmentation des naissances prématurées, de l’asthme ou encore, de façon importante, celle des bronchiolites ou cancer du poumon.

Illustration d'Amandine Richaud Crambes

Amandine Richaud-Crambes

25 janv.

En 2023, l’Union Européenne s’est prononcée pour l’interdiction des polluants dits “éternels”. Ceux-ci correspondent à des composés perfluoroalkylés et polyfluoroalkylés appelés PFAS et considérés comme “les poisons du siècle”. On retrouve ces molécules dans les objets du quotidien (poêles en Teflon, papier cuisson, emballages alimentaires, textiles, cosmétiques…) et dans les applications industrielles (mousse anti-incendie, peintures, pesticides, …). Les PFAS peuvent entraîner des problèmes de santé tels que des lésions hépatiques, des maladies thyroïdiennes, de l'obésité, des problèmes de fertilité et des cancers. Ces “polluants éternels” ont contaminé tous les milieux (eau, air, sol) et l’ensemble de la chaîne alimentaire. Les chiffres font peur : l’ensemble de la population européenne est contaminé par les PFAS dont les enfants, dès leur naissance ; il n’existe pas de système métabolique qui ne soit pas affecté par ces polluants. Malheureusement, les PFAS ne sont pas les seuls à mettre les enfants en danger ; le spectre des pollutions environnementales entraînant des maladies graves est très étendu.

Une idée préconçue voudrait que ce soit les enfants vivant dans les grandes villes les plus exposés aux risques de pollution. L’exemple le plus courant est celui de l’air extérieur. En effet, en France, il y a environ 48 000 décès liés à la pollution de l’air, soit la troisième cause de mortalité après l’alcool et le tabac. Chez les enfants, les conséquences de la pollution atmosphérique sont l’augmentation des naissances prématurées, de l’asthme ou encore, de façon importante, celle des bronchiolites ou cancer du poumon. Une étude récente de la DREES (Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques en santé publique et sociale) démontre que les enfants les plus défavorisés sont plus touchés parce qu'ils vivent plus souvent au sein des aires d'attraction économiques des villes (et donc des industries ou usines) et dans les communes les plus polluées.

Une pollution de l’air qui touche tous les enfants sans distinction géographique est celle de l’air intérieur, il peut être jusqu’à 8 fois plus pollué que l’air extérieur. Les sources de pollution dans les logements sont nombreuses : tabagisme, moisissures, matériaux de construction, meubles, acariens, produits d’entretien, peintures... De par leur petite taille, les enfants sont plus près du sol, là où s’accumulent les polluants. Leur rythme de respiration est 2 fois plus soutenu que celui des adultes et ils respirent une plus grande quantité d’air relativement à leur taille. Cette pollution entraîne des problèmes respiratoires : respiration sifflante, rhinites, asthme, irritation de la gorge, congestion nasale, toux sèche mais aussi de l’eczéma, dermatite, conjonctivite, irritation de la peau et des yeux. La pollution de l’air intérieur impacte également les performances scolaires car elle réduit les capacités de concentration et de mémorisation. La performance cognitive réduite, les difficultés à dormir s’accumulent, le cerveau est mal oxygéné ; les enfants sont plus fatigués et peuvent même souffrir de maux de tête. Mais là encore, il ne faut pas penser que cela se passe principalement dans le foyer, en dehors du logement familial, c’est l’école qui présente le plus gros risque d’exposition à la pollution de l’air intérieur : les enfants passent plus de 40% de leur temps en classe. Les chiffres sont effarants : 3 écoles sur 4 ne sont pas équipées de ventilation mécanique, environ 10 % des écoles présentent au moins un élément dégradé avec une concentration de plomb supérieure à 1 mg/cm² qui dépasse le seuil réglementaire, les écoles les plus anciennes dépassent le seuil d’insalubrité ou les cours goudronnées qui augmentent les îlots de chaleurs et donc les inhalations goudronnées. Là encore, les enfants vivant dans des familles précaires sont plus exposés à cette pollution à cause d’habiter dans des logements plus prompts à une mauvaise aération et isolation et donc à la moisissure ou aux produits toxiques. Ils fréquentent aussi des écoles plus dégradées. Alors, en plus du risque sanitaire, la pollution de l’air devient un facteur de réussite scolaire.  

Cependant, on ne peut pas penser que la santé des enfants des milieux plus ruraux est plus protégée. Du fait de vivre à proximité de champs d’agriculture conventionnelle, l'Inserm (Institut national de la santé et de la recherche médicale) pointe l’augmentation du risque de leucémies, de cancers et de troubles neurologiques lors de l’exposition directe aux pesticides pendant la grossesse ou la petite enfance. Les pesticides, qu’ils soient professionnels par les épandages, ou domestiques par exemple pour le traitement des plantes au sein des jardins, polluent l’air, s’infiltrent dans les sols et polluent les cours d’eau, pour se retrouver dans le quotidien des familles. Une récente étude, encore de l’Inserm, a identifié que les enfants vivant près d’exploitations vinicoles ont un risque de leucémie lymphoblastique 10% supérieur à la moyenne. En effet, les vignes sont parfois traitées aux pesticides jusqu’à 19 fois par an. En Guadeloupe et Martinique, il a été démontré que l’exposition prénatale et postnatale au chlordécone, pesticide dangereux utilisé pour la culture bananière, est associée à une diminution des capacités intellectuelles et à une augmentation des difficultés comportementales chez les plus jeunes. 

Malheureusement, la liste des facteurs environnementaux entraînant des maladies pédiatriques graves ne s’arrête pas aux pollutions de l’air et aux pesticides. L’industrie est une autre grande coupable. Début 2000, l’histoire des enfants vivants à proximité de l’usine Kodak de Vincennes avait secoué bon nombre de parents. Cinq enfants vivant à proximité de l’usine ont développé des cancers. C’est le tournant de ce qu’il s’appelle aujourd’hui les clusters de cancers pédiatriques. L’activité de certaines industries rejettent dans l’air et dans l’eau des métaux lourds et terres rares dont les concentrations sont souvent supérieures à la réglementation. Même si les mesures ont été durcies, les infractions restent courantes. Le taux de cancers pédiatriques augmente alors fortement, les maladies rares du sang et les leucémies étant prédominantes. Actuellement, il existe 4 clusters de cancer pédiatriques connus. À Igoville dans l’Eure, c’est une usine de fabrication de vannes et de tubes spéciaux pour les secteurs de la défense, du nucléaire et de la pétrochimie qui est suspectée. À Pont-de-l’Arche en Loire Atlantique, 25 enfants ont déclaré un cancer entre mai 2015 et mai 2021. À Saint-Rogatien en Poitou-Charentes ou encore autour de Rousses dans le Haut Jura, les cancers pédiatriques explosent avec suspicions d’industries coupables. Plus récemment, c’est l’usine Sanofi de Mourenx (Pyrénées-Atlantiques) qui est dans le viseur des familles. Celle-ci produit la Dépakine depuis 1967, médicament prouvé responsable de malformations et de troubles neurodéveloppementaux chez des milliers d’enfants de mères traitées pendant leur grossesse. Malgré son interdiction chez les femmes enceintes, des pathologies similaires sont présentes chez des enfants de riverains de l’usine et de travailleuses fréquentant la zone industrielle. Aucune mère n’a pris le médicament, toutes s’interrogent sur le lien avec les rejets dans l’air de valproate de sodium, son principe actif, autour du site.

Aujourd’hui, seulement une infime partie de l’impact sanitaire des polluants et facteurs environnementaux sur les enfants est connue. Devant le manque de moyens ou d’écoute des organismes de santé publique, de nombreux parents s’organisent pour faire leurs propres recherches et montent des collectifs de vigilance citoyenne. Il existe une réelle inaction politique sur la recherche des clusters de cancers pédiatriques et dans la protection des enfants contre la pollution plus généralement. Il ne faut pas avoir peur de dire que le bilan de l’État est accablant. Depuis 2008, les directives européennes sur la qualité de l'air ambiant obligent les États membres de l'Union européenne à prendre des mesures appropriées pour garantir le respect des valeurs limites et cibles dans un délai spécifié. Cependant, rien ou presque, n’est fait pour améliorer la pollution de l’air en France, et ce malgré une première condamnation en 2017 par le Conseil d’État. Celle-ci sera suivie d’autres en 2021, 2022 et 2023 obligeant la France a payé 30 Millions d’amendes face à la persistance de ces dépassements, alors que le danger de la pollution de l'air n’est plus à prouver.

Enfin, concernant les pesticides, les reculs s’accumulent. Dès 2007, le Grenelle sur l’environnement avait pris un engagement de réduction de l’usage des produits phytosanitaires jusqu’à son interdiction. Dix en plus tard, Macron 2017 promet que le gouvernement prendra des dispositions nécessaires pour que l’utilisation du glyphosate soit interdite en France au plus tard dans trois ans. Non seulement la promesse n’a pas été tenue mais le gouvernement a même fait un revirement. Il a autorisé la réintroduction des néonicotinoïdes dans les cultures et la France s'abstiendra lors du vote de la proposition de la Commission européenne sur le renouvellement de l'autorisation du glyphosate pour dix ans dans l'UE.

Jean-Paul Jaud sortait en 2008 l’indispensable documentaire “Nos enfants nous accuseront”. Non seulement c’est toujours d’actualité, mais ils auront bien raison. 

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