Logo du site Popol Media

Iran : 600 jours après M.A

600 jours après la mort de Mahsa Amini en 2022, les iranien·nes continuent à se battre pour leurs libertés face à un pouvoir de plus en plus répressif.

Illustration de Clothilde Le Coz

Clothilde Le Coz

15 mai

Logo du site Popol Media

Iran : 600 jours après M.A

600 jours après la mort de Mahsa Amini en 2022, les iranien·nes continuent à se battre pour leurs libertés face à un pouvoir de plus en plus répressif.

Illustration de Clothilde Le Coz

Clothilde Le Coz

15 mai

M.A c’est Mahsa Amini, cette femme de 22 ans morte à Téhéran le 16 septembre 2022 alors qu’elle était en détention, trois jours après avoir été violemment arrêtée pour non-respect du strict code vestimentaire iranien. Sa mort a été le point de départ de nombreuses manifestations à travers les pays. Plus que des phénomènes isolés, ces manifestations sont devenues le mouvement “Femmes, Vie, Liberté” demandant la fin de la théocratie islamique en Iran. La réponse des autorités a été rapide : 500 personnes sont mortes dans les manifestations – dont 69 enfants - et plus de 22 000 arrêtées. Pour Michael Page, le directeur adjoint de l’ONG Human Rights Watch pour le Moyen-Orient “pour beaucoup, la vie quotidienne en Iran aujourd’hui est une lutte constante contre un gouvernement autocratique et corrompu, qui a décidé d’utiliser tout son appareil répressif pour éliminer toute opposition”.  Bienvenue en Iran en 2024.

Nouvelle vague de répression en avril

Il est important de rappeler qu’aucune loi n’impose pas officiellement le port obligatoire du hijab en Iran. Le projet de loi proposant le hijab obligatoire n’a pas encore été approuvé par le Conseil des gardiens même s’il a été approuvé par le Parlement iranien le 20 septembre 2023, soit un an après la mort de Mahsa Amini. Aujourd’hui, le fait d’apparaître “en public sans le voile musulman” est toutefois passible d’une “peine d’emprisonnement de dix jours à deux mois”. Ce projet de loi prévoit de renforcer les sanctions contre les femmes ne portant pas le voile dans les lieux publics.

Le mois dernier, une nouvelle vague de répression s’est abattue sur les femmes suite aux déclarations du guide suprême, Ali Khamenei, qui a affirmé que le hijab était une “obligation religieuse et légale”, exhortant tous les “fonctionnaires, citoyens et promoteurs de la vertu” à s’acquitter de leur devoir en le faisant respecter. Le commandant des forces de sécurité de l’État a annoncé qu’à partir du 13 avril, la répression contre les femmes ne respectant pas le hijab obligatoire serait considérablement intensifiée dans tous les lieux publics. Les tristement célèbres patrouilles de la moralité ont donc fait leur retour dans les rues pour arrêter les femmes non voilées et des témoignages ont également fait surface selon lesquels des caméras de surveillance sont utilisées pour identifier les conductrices qui ne respectent pas ces règles. L’ONU s’en inquiète.

Menace réelle pour le régime ?

Cette nouvelle vague de répression a mis en lumière de profondes divisions au sein des ultra-conservateurs au pouvoir en Iran. En effet, les représentants de Khamenei ont reconnu que la question du hijab constituait une menace pour la sécurité du régime et pourrait potentiellement conduire à son renversement. Par ailleurs, l’impact économique se fait également sentir car des centaines d’entreprises ont été fermées de force parce qu’elles n'appliquent pas les règles sur le port du hijab. C’est également un facteur de menace pour le régime en place. Et cela s’est fait sentir dans les urnes car les récentes élections législatives de mars 2024 ont marqué un record d’abstention avec la plus faible participation pour des législatives depuis la révolution de 1979.

Le militantisme implicite

Le militantisme organisé contre les violences sexuelles et sexistes en Iran reste risqué.  Alors qu’ici nous nous efforçons de politiser les enjeux liés aux violences sexuelles et sexistes et les discriminations, le secteur universitaire iranien n’a de cesse de dépolitiser ses recherches pour les mener à bien et travailler sur le temps long. Les universitaires sont également menacé·es. Aujourd’hui, les chercheureuses utilisent souvent des cadres d'analyse individualisés et axés sur la famille pour discuter des violences. Cette approche leur permet de s'attaquer à ce problème tout en évitant les “lignes rouges”.

Le militantisme se fait implicite. Les violences sexuelles et sexistes sont un sujet souvent abordé dans la culture populaire. Si la télé iranienne, exclusivement gérée par l'État, offre une image homogène et traditionaliste des femmes, le cinéma iranien a spécifiquement montré un grand intérêt pour les questions sociales, y compris le problème des violences. Ce militantisme implicite est une forme de désobéissance que le régime essaie également de contrôler. Cela ne se manifeste pas que par le cinéma. Par exemple, le rappeur Toomaj Salehi, soutien du mouvement de contestation contre le pouvoir, a été reconnu coupable et condamné à mort pour “corruption sur terre” en raison des opinions qu’il a exprimées dans le cadre des manifestations nationales de 2022 à la suite du décès de Jina Mahsa Amini.  C’est un chef d’accusation fréquemment utilisé par le régime contre ses opposant·es. Il est également condamné à deux ans d’interdiction de quitter l’Iran et d’exercer toute activité artistique. Le chanteur Shervin Hajipour, un fervent partisan du mouvement Femme, vie, liberté  a été condamné à trois ans et huit mois de prison pour ’“activités de propagande contre la République islamique” et d’“incitation à l’émeute”. 

Les violences conjugales comme combat affiché

Fondée en 1979, la République islamique d'Iran est l'un des six États membres des Nations unies qui n'ont pas ratifié la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes (CEDAW). Peu après sa création, le nouvel État islamique a abrogé les lois sur la protection de la famille introduites par le précédent régime Pahlavi (1925-1979), qui visaient à renforcer les droits des femmes dans des domaines tels que le divorce et la garde des enfants, entre autres. La position idéologique du régime islamique à l'égard du genre et du rôle des femmes dans la société a conduit à l'adoption de nouvelles lois s'inspirant fortement d'un courant spécifique de la jurisprudence islamique chiite. Résultat : les violences sexuelles et sexistes, en particulier les violences conjugales, ne sont que rarement signalées, malgré leur fréquence, car le soutien institutionnel aux personnes concernées est limité. 

Durant les 100 premiers jours de 2024, 50 femmes ont été tuées par un ou plusieurs hommes de leurs familles dans tout le pays. Ces cas sont documentés et sont officiellement recensés – 25% d’entre eux considérés comme “des crimes d’honneur”. Selon le journal Shargh, qui reprend les statistiques officielles de l’an dernier, elles sont au moins 165 femmes tuées de la sorte en moins de deux ans. Ici, les chiffres n’indiquent qu’une tendance et ne sauraient être exhaustifs car la violence à l'égard des femmes n'est pas reconnue par la loi dans le pays et ne bénéficie pas d'un statut juridique particulier.

Ironiquement, rappelons que pour Khamenei, le port du hijab était  dès 2018 une réponse au mouvement #metoo qui mettait fin au harcèlement des femmes.

Soutenez Popol Media

Aidez-nous à rester indépendantes