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La mort, une affaire de femmes 

La fin de vie et la mort, quel que soit l’âge d’ailleurs, est une expérience politique et une expérience féministe dans la mesure où toutes les tâches qui entourent la fin de vie sont reléguées à des femmes, qu’elles soient professionnelles (infirmières, aides-soignantes, aides à domicile etc.) ou ce qu’on appelle des “aidantes”.

Illustration de Camille Dumat

Camille Dumat

04 mars

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La mort, une affaire de femmes 

La fin de vie et la mort, quel que soit l’âge d’ailleurs, est une expérience politique et une expérience féministe dans la mesure où toutes les tâches qui entourent la fin de vie sont reléguées à des femmes, qu’elles soient professionnelles (infirmières, aides-soignantes, aides à domicile etc.) ou ce qu’on appelle des “aidantes”.

Illustration de Camille Dumat

Camille Dumat

04 mars

Depuis toujours, les femmes, parce qu’elles sont mères, sont associées à la vie, à la naissance. Elles sont au démarrage mais pas à la fin (du moins, le croit-on). Ne dit-on pas “donner la vie” ? Ne sait-on pas aussi toutes et tous qu’elles vivent plus longtemps que les hommes, comme si cette prétendue force de vie les rendait presque immortelles. 

Pourtant les femmes meurent comme les hommes. Elles meurent plus tard, mais elles meurent. Elles meurent aussi plus malades, puisqu’il est connu que leur taux de morbidité est plus élevé que celui des hommes. Et c’est le plus souvent à elles qu’incombent le soin (le “care”) de ceux qui sont malades et s’apprêtent à mourir.

En 2022, 76% des plus de 65 ans étaient des femmes. La moyenne d’âge pour l’entrée dans un Ehpad est de 85% et 8 résident·es sur 10 des susdits établissements sont des femmes. 90% des personnes qui travaillent dans des ehpad sont des femmes (mais seulement 60% sont des cadres). Plus la population vieillit, plus elle se féminise. Et la plupart des personnes en charge des populations vieillissantes sont des femmes. En un mot comme en cent, la vieillesse, et donc la mort, est un monde de femmes.

La fin de vie et la mort, quel que soit l’âge d’ailleurs, est une expérience politique et une expérience féministe dans la mesure où toutes les tâches qui entourent la fin de vie sont reléguées à des femmes, qu’elles soient professionnelles (infirmières, aides-soignantes, aides à domicile etc.) ou ce qu’on appelle des “aidantes”. Dans son livre Vieille peau, l’autrice Fiona Schmidt évoque avec beaucoup de justesse et d’émotion les vingt dernières années de la vie de sa grand-mère, passées sans même qu’elle en ait réellement conscience et sans que jamais ce travail ne soit reconnu et encore moins rémunéré, à s’occuper de son mari malade et à l’accompagner dans la mort. Car après avoir eu la charge de mettre au monde des enfants ou de les élever et de les éduquer, c’est encore à elles que l'État délègue la tâche de s’occuper des corps devenus inutiles.

Dans son livre Vie, vieillesse et mort d’une femme du peuple, le sociologue Didier Eribon revient sur la vieillesse de sa mère, son arrivée dans une Ehpad et sa mort, peu de temps après. Il retrace la vie de sa mère, ouvrière, femme de ménage et les conditions de sa fin de vie, libérée de la violence des hommes mais aussi dans une grande solitude et dans une grande fragilité. Et ce livre, magnifique, par la manière dont il résonne dans la vie de chacun d’entre nous, pose aussi la question du politique. On connaît toutes et tous bien sûr l’enjeu, le coût de la fin de vie, l’insalubrité des établissements, la solitude, la dépendance… Mais il met à jour, comme Fiona Schmidt dans Vieille peau, la vulnérabilité des corps malades et usés par le travail ou la maladie. Parce que la mort est taboue et parce que la logique productiviste de notre économie et de notre politique n’a que peu le temps de se soucier de celui ou celle qui n’est plus utile aux grands flux financiers, ces existences deviennent alors doublement vulnérables. Qui pour leur donner de la place, qui pour leur donner une voix, qui pour animer les débats sur la fin de vie, qui pour accompagner les hommes et les femmes dans leur choix de mourir dignement et protégé·es ?

Les femmes, le plus souvent.

La mort est une affaire de femmes et une affaire féministe. 

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