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Le Pays Basque : un territoire torturé

Des milliers de personnes ont connu des actes de tortures étatiques pendant des décennies, des deux côtés de la frontière.

Léa Chamboncel

01 juin

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Le Pays Basque : un territoire torturé

Des milliers de personnes ont connu des actes de tortures étatiques pendant des décennies, des deux côtés de la frontière.

Léa Chamboncel

01 juin

Le Pays Basque, pour les étranger·es, ou Euskal Herria, pour les locales et locaux, ne peut pas se résumer à un imaginaire côtier au littoral impressionnant, terrain de jeu des surfeur·es, à des paysages rocheux mystérieux, à la culture de la fête, du rugby ou encore à son jambon. Faire ce raccourci serait aussi sot, qu’irrespectueux, quand on sait la complexité de l’Euskadi. 

La complexité passe par sa géographie. Environnement inhospitalier et isolé pendant des millénaires, dont cette isolation a été déterminante dans sa construction, Le Pays Basque s’étend sur 20 500 km2 et compte trois millions d'habitant·es. Ce territoire est composé de trois entités politiques distinctes : deux communautés autonomes espagnoles (la communauté autonome du Pays Basque et la Navarre) et une portion du département français des Pyrénées-Atlantiques : le Pays Basque Nord, représenté par la communauté d'agglomération du Pays Basque depuis janvier 2017.

Empire romain, annexion de la Navarre ou encore régime franquiste, n’ont pas réussi à assécher son ADN d’indépendance revendiquée depuis des siècles. L’histoire du peuple basque est empreinte de mystère sur son origine, de fierté, de lutte acharnée mais aussi d'oppression. Sous Henri IV déjà, le territoire faisait l’objet de violentes répressions, notamment lors de l'inquisition où d’importants procès en sorcellerie ont eu lieu dans la région, de jugements, de tortures physiques et psychologiques irrépressibles et de condamnations, vont causer un long traumatisme au sein de la population et assurer pour l’éternité, la réputation des pseudo-sorcières Basques. 

En 1936, les républicains espagnols actent de l’autonomie du Pays Basque, mais Franco attaque l’Euskadie en 1937 (avec, notamment, le bombardement de Guernica qui a fait de nombreuses victimes). Le gouvernement autonome s'exile alors à Bayonne lorsque Bilbao est prise en juin 1937 et de nombreux·ses exilé·es rejoignent la partie française du Pays Basque. Durant la dictature de Franco, qui va durer plusieurs décennies, toute forme d’expression Basque est formellement interdite. La torture, les menaces, et les violences deviennent alors le lot quotidien des indépendantistes. 

En 1952, l’Ekin voit le jour. Il s’agit alors d’une organisation culturelle qui donne des cours sur l’histoire et la culture Basque. Quelques années plus tard, l’Ekin laisse la place à l’ETA (Euskadi ta Askatasuna - Pays Basque et liberté) qui sera officiellement créée en juillet 1959 et face à la violente répression du régime franquiste, l’ETA devient une organisation armée en 1968Néanmoins, après Franco, la répression étatique à l’encontre des indépendantistes a continué.Pendant longtemps, pour les États français et espagnol toutes les revendications ou velléités indépendantistes étaient assimilées à des actions portées par l’ETA selon la formule : “tout est ETA”, alors qu’en réalité, le mouvement indépendantiste est très protéiforme et ne se réduit pas aux actions menées par l’ETA. 

L’organisation a annoncé un cessez le feu permanent en 2011 a été officiellement dissoute en 2018. Néanmoins, l’acharnement contre ses membres s’est poursuivi. L’ETA a tué plus de 800 personnes entre 1959 et 2010 et, du côté des independantistes, on dénombre plus de 5000 cas avérés de torture par la police espagnole entre 1960 et 2017, des milliers de personnes emprisonnées et de nombreuses personnes assassinées notamment par les GAL (groupe antiterroriste de libération - commandos paramilitaires qui tuaient des indépendantistes Basques) financés par l’État espagnol. Comme le relève Caroline Guibet Lafaye, “Entre 2004 et 2021, l’Espagne a été condamnée à 12 reprises par des juridictions internationales pour avoir torturé et/ou ne pas avoir enquêté sur des plaintes de torture formulées par des prisonniers Basques détenus sous le régime du secret (incommunication), dans le cadre d’opérations antiterroristes menées entre 1992 et 2011”. (“ La fabrique de la torture en contexte démocratique : l’antiterrorisme espagnol face aux militants Basques”, Champ pénal). 

Dans cet article, l’autrice démontre comment l’utilisation de la torture a été banalisée par les autorités étatiques dans le cadre de ce qu’elles appellent la lutte contre le terrorisme. Et pour illustrer cela, je voulais vous parler de l’histoire d’Iratxe Sorzabal Diaz, actuellement emprisonnée en Espagne. Il s’agit ici de son récit, qu’elle a raconté au micro de Myriam Prévost. Iratxe Sorzabal Diaz est arrêtée en 2001 par la garde civile espagnole et torturée pendant 5 jours non stop à Madrid, dans les locaux de la garde civile. Son état physique est tellement critique que le médecin qui l'ausculte ordonne son hospitalisation. À l’issue de cette hospitalisation, elle est menacée par les gardes civils qui la forcent à apprendre par cœur des aveux. Ces aveux, elle les récite devant les autorités qui la condamnent. Elle portera ensuite plainte pour torture mais cette plainte ne sera pas réellement prise en compte et elle sera condamnée à 24 ans de prison. 

Comme elle, ce sont donc des milliers de personnes qui ont connu des actes de tortures étatiques pendant des décennies, des deux côtés de la frontière. L’histoire d’Iratxe Sorzabal Diaz prouve que les femmes n’ont pas été épargnées. D’après les chiffres de la fondation Euskal Memoria, parmi les 5 657 cas de torture qu’elle a étudiés, 902 concernent des femmes.

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