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Génocide à Gaza : que peut faire le droit international ?

Ordonnances de la Cour internationale de justice, demande de mandats d'arrêt par le procureur de la Cour pénale internationale, reconnaissance de l'État de la Palestine... Rien ne semble pouvoir faire reculer Netanyahou qui s'assoit sans aucune retenue sur le droit international.

Léa Chamboncel

04 juin

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Génocide à Gaza : que peut faire le droit international ?

Ordonnances de la Cour internationale de justice, demande de mandats d'arrêt par le procureur de la Cour pénale internationale, reconnaissance de l'État de la Palestine... Rien ne semble pouvoir faire reculer Netanyahou qui s'assoit sans aucune retenue sur le droit international.

Léa Chamboncel

04 juin

La première moitié de l’année 2024 a été marquée par l’action des juridictions internationales pour tenter de mettre fin au génocide actuellement en cours à Gaza. Tout commence le 26 janvier dernier lorsque la Cour internationale de justice (CIJ) rend une ordonnance demandant à Israël d’empêcher d’éventuels actes de “génocide” et de “prendre des mesures immédiates” pour permettre la fourniture “de l’aide humanitaire à la population civile de Gaza”. Cette décision a été rendue suite à une saisine de l’Afrique du Sud qui a défendu qu’Israël viole la Convention des Nations unies sur le génocide de 1948. 

La CIJ émet une nouvelle ordonnance le 24 mai 2024 dans laquelle elle ordonne à Israël d'arrêter son offensive militaire à Rafah, dans le sud de la bande de Gaza. Alors que certains médias et politiques rechignent à reconnaître la situation à Gaza, les juges de la CIJ s’en tiennent aux faits et font preuve d’une clareté nécessaire, comme en témoignent les termes de l’ordonnance : “L’État d’Israël doit, conformément aux obligations lui incombant au titre de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, et au vu de la dégradation des conditions d’existence auxquels sont soumis les civils dans le gouvernorat de Rafah (...) arrêter immédiatement son offensive militaire, et toute autre action menée dans le gouvernorat de Rafah, qui serait susceptible de soumettre le groupe des Palestiniens de Gaza à des conditions d’existence capables d’entraîner sa destruction physique totale ou partielle.” 

Est-ce pour autant que “l’offensive” d’Israël a cessé ? Non.

En parallèle des décisions de la CIJ, la Cour pénale internationale (CPI) a également agi en la personne de son procureur, Karim Khan, qui a requis plusieurs mandats d’arrêt contre des responsables israéliens, dont Benjamin Netanyahou, et des responsables du Hamas pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité. Les juges de la CPI doivent désormais statuer sur cette requête. Si ces mandats d’arrêt sont confirmés, les personnes visées pourront alors être arrêtées si elles se rendent sur le territoire d’un des États reconnaissant la compétence de la CPI, conformément au Statut de Rome. Par conséquent, les responsables mis en cause verront leur liberté de mouvement se restreindre et, dans cette perspective, le premier ministre israelien sera davantage isolé sur la scène internationale, au même titre que le président russe qui est visé par un mandat d’arrêt de la CPI depuis 2023. 

Ce qu’il faut savoir, c’est que cette requête de Karim Khan est l’aboutissement d’un travail qui a débuté en 2014 quand la Cour a été saisie sur la situation en Palestine. Le 16 janvier 2015, la procureure de l’époque, Fatou Bensouda, a annoncé l'ouverture d'un examen préliminaire concernant la situation dans l'État de Palestine afin de déterminer si les critères définis par le Statut de Rome pour l'ouverture d'une enquête étaient remplis. En mars 2021, considérant que les critères étaient effectivement remplis, Fatou Bensouda annonce ouvrir une enquête. Une décision extrêmement courageuse, et vous allez comprendre pourquoi. 

Dans sa déclaration du 20 mai 2024, Karim Khan a prononcé ces mots : “Il est crucial, à l’heure qu’il est, que mon Bureau et tous les organes de la Cour, y compris ses juges indépendants, puissent accomplir leur travail en toute indépendance et en toute impartialité. Je demande instamment que cessent immédiatement les tentatives d’obstruction, d’intimidation ou d’influence indue des fonctionnaires de la Cour.” Ici le procureur fait vraisemblablement référence, comme nous l’apprend une brillante enquête menée par The Guardian (“Spying, hacking and intimidation: Israel’s nine-year ‘war’ on the ICC exposed”), à “la guerre secrète” (telle que la nomme le quotidien britannique) menée par le gouvernement de Netanyahou contre les membres de la CPI.  

Dans cet article, on apprend entre autres que deux hommes se sont rendus au domicile l’ancienne procureure, Fatou Bensouda, en février 2015 (soit un mois après l’ouverture de l’annonce de l’ouverture d’un examen préliminaire) avec une enveloppe comprenant plusieurs centaines de dollars et un papier avec un numéro de téléphone israelien. Suite à cet événement, la CPI a demandé aux autorités néerlandaises de renforcer la sécurité du domicile de la procureure. Dans ce contexte, il est important de saluer le courage des procureur·es Bensouda et Khan.

Et malgré ces nombreuses décisions, les atrocités continuent. 

Car, comme beaucoup le savent déjà, le grand problème du droit international tient dans son (quasi) absence d’effectivité, tout le système juridique international reposant essentiellement sur le bon vouloir des États et la CIJ et la CPI n’y échappent pas. 

La CIJ est la cour des Nations Unies. Elle a été instituée en juin 1945 par la Charte des Nations Unies et sa compétence découle de sa reconnaissance par les États. Elle a pour rôle de régler, conformément au droit international, les différends juridiques qui lui sont soumis par les États (compétence contentieuse) et de rendre des avis consultatifs. L’article 94 de la Charte des Nations unies prévoit que les arrêts de la CIJ sont contraignants pour les parties au litige et que, s’ils ne sont pas exécutés, l’autre partie peut saisir le Conseil de sécurité, qui peut décider de mesures à prendre pour faire exécuter l’arrêt. 

Pour ce qui est de la CPI, sa compétence n’est pas universelle et l’exécution des décisions repose sur les États. En effet, sa compétence ne s’exerce qu’à l’égard des crimes commis par des ressortissant·es ou sur le territoire des États ayant ratifié le Statut de Rome (texte fondateur de la Cour qui est entré en vigueur en juillet 2002) ou de ceux qui ont reconnu sa compétence par la voie d’une déclaration. À ce jour, 124 États reconnaissent la compétence de la Cour. Une trentaine d'États ont signé le Statut de Rome mais ne l'ont pas encore ratifié, parmi lesquels figurent les États-Unis, la Russie et Israël. Ainsi, si le procureur de la CPI a pu déposer des requêtes aux fins de délivrance de mandats d’arrêt concernant la situation dans l’État de Palestine, c’est parce que la Palestine a adhéré au Statut de Rome le 2 janvier 2015. 

Pour ce qui est de l’application de ses décisions, les États ont l’obligation, selon le Statut de Rome, de coopérer pleinement avec la Cour dans son enquête et la poursuite des crimes relevant de la compétence de la Cour. La responsabilité d’exécuter les mandats d’arrêts incombe ainsi aux États… Bref, le serpent qui se mord la queue… 

La vraie question qui se pose est donc la suivante : comment le droit international peut-il contribuer à mettre fin au génocide à Gaza ? Avant de répondre à cette question centrale, petit point de vocabulaire et de ce que l’on appelle en droit de “qualification juridique des faits”. 

Beaucoup “considèrent” (en fonction de la réalité iels ont décidé de s’enfermer ou de celle qu’iels ont décidé d’ignorer) que l’on ne peut pas parler de génocide à Gaza. Pourtant, Francesca Albanese, Rapporteure spéciale sur la situation des droits humains dans les territoires palestiniens, a bien conclu, dans son rapport intiutlé “Anatomie d’un génocide” et présenté fin mars que “La nature et l’ampleur écrasante de l’assaut israélien sur Gaza et les conditions de vie destructrices qu’il a causées révèlent une intention de détruire physiquement les Palestiniens en tant que groupe”. Pour elle, “il existe des motifs raisonnables de croire que le seuil indiquant que des actes de génocide” (ont été commis)  “contre les Palestiniens à Gaza a été atteint”. 

Est-il encore nécessaire de tergiverser à l’heure où les plus hautes instances internationales pointent les risques de génocide, dépêchent leurs équipes pour relever des preuves sur place et concluent à une “intention de détruire physiquement les palestiens en tant que groupe” ? Qui êtes-vous, éditorialistes médiocres, responsables politiques abjectes pour nier un tel état de fait ? Le jour viendra où vous ne pourrez plus fermer les yeux et où votre complicité vous empêchera de vivre en tranquillité, je le souhaite du plus profond de mes tripes. 

Mais revenons à la question initiale, à savoir : comment le droit international peut-il contribuer à mettre fin au génocide à Gaza, il faut parler de la reconnaissance de l’État palestinien. En droit international, un État est reconnu comme tel à condition qu’il remplisse les critères suivants : une population permanente, un territoire déterminé, un gouvernement qui n'est subordonné à aucun autre et la capacité d’exercer sa souveraineté. La reconnaissance par les autres États n’est pas “obligatoire” pour qu’un État existe sur la scène internationale, néanmoins, pour que ses droits (et responsabilités) soient reconnus et qu’il puisse entretenir des relations diplomatiques avec les autres pays, elle est nécessaire. La reconnaissance correspond à une forme de “validation” des critères d’existence de l’État par ses pairs. Dans le cas de la Palestine, comme le relève Romain Le Bœuf, professeur de droit international, à Télérama : “l’existence d’un peuple et d’un territoire – bien qu’occupé par des colonies illégales – est largement reconnue internationalement. Celle d’un gouvernement indépendant souverain fait davantage débat”. 

Il est important de noter que “Normalement, la reconnaissance concerne un État qui existe déjà sur le plan interne. Mais elle peut avoir également pour objet un mouvement de libération nationale, mouvement politique qui œuvre à l’émancipation d’un peuple dans le cadre du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. La reconnaissance d’un mouvement de libération nationale a pour but de faciliter l’apparition du nouvel État en soutenant le processus de son émancipation.” (Hélène Simonian-Gineste in Fiche 2. La reconnaissance de l’État”, Fiches d'Institutions internationales). 

La question de la reconnaissance de l’État de Palestine n’est, bien évidemment, pas récente. En effet, nombreux sont les États (147 au total) à reconnaître l’État palestinien et ce, depuis 1988, année où l’Algérie a été le premier pays à franchir le pas. Plus récemment, l’Espagne, la Norvège, l’Irlande et la slovénie ont reconnu l’État palestinien, espérant ainsi encourager d’autres États européens à en faire de même. De manière concrète, plus il y aura de reconnaissances, plus Netanyahou sera isolé et plus il sera poussé à accepter la solution à “deux États”, qui semble être la plus acceptable pour un grand nombre de pays. 

Mais est-ce qu’Israël respecterait le droit international avec la reconnaissance d’un État palestinien par l’ensemble des États et son accession en tant que membre de plein droit des Nations Unies (contrairement au simple statut d’observateur actuel) ? C’est très difficile à affirmer lorsque l’on regarde ce qui se passe en pratique et l’ironie du sort fait que c’est le gouvernement de Netanyahou, actuellement au pouvoir en Israël, qui s’assoit sur le droit international à qui il doit, pourtant, la création de l’État israelien en 1947. Il est toutefois important de rappeler que ce n’est pas le premier gouvernement qui méprise le droit international en Israël… 

Les juridictions internationales ont beau faire de leur mieux, elles se heurtent à la réalité de la pratique des États et n’ont, pour le moment, pas réussi à faire reculer Netanyahou. L’opinion publique semble avoir un impact et a, je l’espère, le pouvoir de faire bouger les choses. Alors continuons à nous mobiliser, en nombre et aux quatre coins du monde, pour faire pression sur nos gouvernants afin que le massacre cesse et que le peuple palestinien soit enfin libre ! 

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