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Pressions sur la liberté d’expression

Liberté d'expression : entre préservation des droits fondamentaux et opposition aux récits dominants, des voies de résistance émergent face à la répression quotidienne.

Léa Chamboncel

08 mai

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Pressions sur la liberté d’expression

Liberté d'expression : entre préservation des droits fondamentaux et opposition aux récits dominants, des voies de résistance émergent face à la répression quotidienne.

Léa Chamboncel

08 mai

La liberté d'expression octroie à tout·es le droit d'exprimer ses opinions sans risquer d'être sanctionné·e. Cette liberté est consacrée dans le droit français par la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen (DDHC), qui fait partie du bloc de constitutionnalité et elle a donc valeur constitutionnelle, au même titre que la Constitution. Il s'agit ainsi d'une liberté dite “fondamentale”. De cette liberté découlent d'autres droits et libertés telles que la liberté d'opinion, la liberté de la presse, la liberté de manifestation ou encore le droit de grève. 

Plusieurs conventions internationales garantissent la liberté d’expression, notamment la Convention européenne de sauvegarde des droits humains (CESDH) qui précise que la liberté d'expression “comprend la liberté d'opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu'il puisse y avoir ingérence d'autorités publiques et sans considération de frontière”.  

Cette liberté, ainsi que celles qui en découlent, comportent néanmoins des limites. Ainsi, ​tout en affirmant la liberté d'expression, l'article 11 de la DDHC en pose les limites : “Tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l'abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi”.  

Par ailleurs, selon la Cour européenne des droits humains, la liberté d'expression peut être limitée pour différents motifs parmi lesquels figurent : la sécurité nationale, la sûreté publique, l'intégrité du territoire, la diffamation, les discriminations, etc. 

Et il y a une autre limite à la liberté d’expression : il s’agit de l’incitation à la haine. Car oui, il est important de rappeler que l’incitation à la haine n’est pas “une opinion” contrairement à ce que certain·es semblent penser. 

À ce sujet, il y a du côté de l‘extrême droite notamment, une instrumentalisation de la liberté d’expression dont il faut se méfier. En effet, sous couvert de “défendre la liberté d’expression” certain·es n’hésitent pas à propager des discours haineux parfois LGBTphobes, sexistes, racistes, etc. Et comme “on ne peut plus rien dire”, ces derniers enchaînent les plateaux télé où iels ont leur rond de serviette et les événements pour parler de leur croisade contre les wokistes, comme ce fut le cas le week-end dernier à Perpignan… 

Et puisque l’on parle des médias, arrêtons-nous un instant sur la liberté de la presse. Depuis la loi du 29 juillet 1881, la presse bénéficie en France d'un statut spécifique qui reconnaît son rôle fondamental pour notre démocratie. Les entreprises de médias sont soumises à des règles particulières et à une régulation qui datent de 1986. Nombreuses sont les personnes qui s’accordent, à l’instar de la députée Sophie Taillé-Polian (autrice d’une proposition de loi destinée à renforcer la “liberté, l’indépendance et le pluralisme des médias”), sur la nécessité de réformer ce cadre juridique qui semble désuet compte tenu, entre autres, des évolutions technologiques. 

Le pluralisme des médias est censé permettre aux citoyen·nes d’avoir le choix et d’avoir accès à différents médias, idées et opinions. Or, l’on voit bien que la concentration des médias aux mains d’une poignée de milliardaires a des effets particulièrement délétères sur la pluralité et la qualité de l’information. À ce titre, Reporters sans frontières relève dans son dernier rapport que “L’expansion du groupe Bolloré (CNews, Paris Match, Europe 1, Le Journal du Dimanche), qui a absorbé le groupe Lagardère en 2023, inquiète le secteur du fait des méthodes brutales et interventionnistes de l’actionnaire et du défaut de pluralisme interne, faisant craindre le triomphe de l’opinion sur les faits”.

En outre, les auteurices du rapport soulignent que “Si le cadre légal et réglementaire (en France - NDLR) est favorable à la liberté de la presse, les outils visant à lutter contre les conflits d’intérêts et à protéger la confidentialité des sources sont insuffisants, inadaptés et dépassés”. 

Mais au-delà de la liberté d’expression, de la liberté et du pluralisme de la presse, se cache la question du récit dominant qui est porté dans les médias et par certain·es responsables politiques. Quand le service public décide de sanctionner un humoriste alors que la justice a classé sans suite la plainte déposée à son encontre, n’est-ce pas une manière de contourner cette fameuse liberté d’expression pour ne pas heurter les tenants du récit dominant ? Quand une journaliste qui enquête sur le rôle de l’Etat français dans l’assassinat de civils en Egypte est arrêtée suite à une plainte du ministère des Affaires étrangères, n’est-ce pas une façon de contourner la liberté de la presse et le secret des sources afin de cacher un scandale d’Etat mettant à mal le récit dominant ? Quand des militant·es sont poursuivi·es pour “apologie du terrorisme”, ou qu’iels sont mis·es en garde à vue, tabassé·es et mutilé·es par les forces de l’ordre ou empêché·es de manifester, n’est-ce pas un moyen de contourner la liberté d’expression pour faire taire de force celleux qui cherchent à s’élever contre le récit dominant et l’ordre établi ? 

Face à cette répression quotidienne, comment continuer à porter nos luttes ? Comment faire circuler les idées ? Comment se parler ? Comment s’organiser ? Et comment résister ? Les réseaux sociaux et Internet de manière générale semblent parfois constituer une bonne alternative, mais là aussi il faut être vigilant·es car nous sommes dépendant·es des décisions prises par les dirigeants de ces plateformes monopolistiques qui peuvent, du jour au lendemain, changer leurs règles et invisibiliser nos contenus… À cela s’ajoute, et plus particulièrement pour les personnes socialement dominées, le cyberharcèlement qui vise à faire taire celleux qui portent un voix qui s’oppose au récit dominant comme en témoigne ce que vit actuellement notre consoeur, à laquelle nous apportons toute notre soutien, Nassira El Moaddem. 

Lorsque l’on est à la tête d'un média indépendant et féministe, ce sont des questions que l’on se pose tous les jours, avec celles liées aux enjeux financiers. Dans ce contexte, comment se maintenir et exister face aux dominants ? Hélas, je n’ai pas la réponse mais je sais que votre soutien est primordial. 

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