Lorsque l’on parle de justice, on pense très souvent aux nombreuses violences sexistes et sexuelles qui demeurent impunies. Et, en la matière, il est important de rappeler quelques chiffres : 86% des plaintes pour violences sexuelles sont classées sans suite, 72% des plaintes pour violences conjugales sont classées sans suite, (Institut des politiques publiques), 3% des plaintes pour viol sur mineures donnent lieu à la condamnation du mis en cause (CIVIISE), etc.
Dans ce contexte, on peut facilement comprendre l’indignation face à l’impunité ainsi que la colère et la douleur des victimes pour qui la justice “n’est pas rendue”, on peut aussi comprendre la détresse des professionnel·les de la justice et des associations qui accompagnent les victimes pour qui il est de plus en plus difficile d’exercer leur travail en raison du manque de moyens humains et financiers. À titre d’exemple, les dépenses par victime de violences conjugales ont chuté de 26% entre 2019 et 2023 comme le souligne un rapport de la Fondation des femmes de septembre 2023.
Mais on ne peut pas parler de justice et du système judiciaire sans souligner ses imperfections et sans revenir sur les injustices qu’il produit. Comme le relève le sociologue Fabien Jobart auprès de l’Observatoire des inégalités : “D’une part, ce sont des centaines de milliers de justiciables qui, chaque année, ne font pas valoir leurs droits par crainte d’une institution dont ils ne comprennent pas les règles, voire par simple méconnaissance du fait qu’ils ont des droits et peuvent agir. D’autre part, les décisions rendues par l’institution judiciaire s’avèrent si aveugles aux différences qu’elles les perpétuent et, souvent, les aggravent.”
Dans son enquête sur le système carcéral publiée en 2015 (“L’ombre du monde”, Seuil), l’anthropologue Didier Fassin fait état, dans la maison d’arrêt où il a mené son étude, d’une “impressionnante présence des minorités (...) ces minorités se définissent autant par leur couleur et leur origine que par la faiblesse de leur capital économique et culturel.” L'anthropologue relève également que les lois sanctionnent moins les infractions communément commises par les classes les plus aisées (notamment les infractions financières et fiscales) que les autres. En outre, Fabien Jobart démontre, en s’appuyant sur les travaux du groupe de recherche “Justines” qu’en matière civile “les procédures avantagent les hommes actifs à hauts revenus par rapport aux femmes au foyer, les premiers pouvant même parfois bénéficier d’avocats mis à disposition par leur société”.